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Mon père était pour moi un ami et un Dieu. Ma grand’ mère s’éteignit ; je n’avais que seize ans ; je vous affirme que mon père fut persuadé qu’il me donnait une preuve d’affection et de vigilance en mettant auprès de moi une << seconde mère. » Elle avait vingt-huit ans ; elle était douce et bonne ; je n’eus jamais rien à lui reprocher… Et pourtant, quoique je ne fusse ni méchante ni malveillante, je ne saurais vous dire la souffrance, la déception, l’amertume désolée que m’infligeait la présence de cette étrangère à notre foyer… L’involontaire révolte perpétuelle que j’éprouvais à la voir prendre ma place, s’installer dans l’affection de mon père, tout changer dans notre existence, dans l’aspect de notre maison, jusque dans l’extérieur, les pensées, les opinions de mon père… Que de fois j’ai pleuré, oh ! pleuré si douloureusement en sentant que je me détachais invinciblement de cet homme nouveau qu’il était devenu… lui, le mari de l’étrangère, cet homme presque étranger lui-même, où je ne retrouvais plus rien de mon père à moi… pas plus que je n’étais désormais chez moi dans cette demeure qui appartenait à sa fantaisie à elle et qu’elle modifiait comme elle avait transformé celui qu’elle m’avait pris… Et si l’enfant souffre ainsi du remariage de son père, combien plus cruellement encore son cœur sera atteint s’il voit sa mère lui échapper !… s’il sent se glisser entre lui et elle elle, trésor suprême ! — d’autres préoccupations, d’autres affections, la présence odieuse ou redoutable d’un homme étranger !…

Julien protesta :

— Jamais je ne deviendrais odieux à vos filles, Henriette !

Elle riposta, un peu pâle :

— Eh bien, vous seriez dangereux, ce serait pis encore !… Tenez, depuis quelque temps, je me suis aperçu