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aussi du rival que la nature faisait sourdre au sein de celle qu’il voulait toute à lui, pour en être aimé uniquement.

— C’est que je suis à bout de forces, épuisé par la lutte, vois-tu, Suzanne. Et si ce dernier espoir qui me soutient encore s’écroule comme les autres, je crois que je n’aurai plus la force de recommencer le combat !…

Elle protesta, émue par l’acuité soudaine de son accent, par l’âpreté sincère de son aveu de désespérance.

— Que dis-tu ?…

— Pour tout le monde, je suis fort, je suis confiant ; on me croit orgueilleux, escomptant tranquillement un succès prochain, assuré… On admire mon énergie, ma persévérance… On vante mon adresse : on envie mon audace ; on me craint, parfois… J’ai la réputation d’être un arriviste déterminé, sans scrupules et sans défaillances… Mais toi seule, tu sais que tout cela est un masque, un rôle… Je suis faible, je suis maladroit, je doute de moi, de l’avenir, de mon talent… le moindre heurt retentit douloureusement en moi, me fait chanceler !… Je suis un comédien qui perpétuellement tremble en scène, et n’en impose au public que par l’effort surhumain de son mensonge !… Ah ! Suzanne, ma Suzanne, que j’ai mal !… Que je suis las !…

Le front penché, les yeux assombris, Suzanne écoutait cette plainte, le cœur palpitant de compassion.

— Dis-moi ta peine… toute ta peine… à moi qui suis encore toi…

Ces accès de faiblesse, de suprême découragement qu’il avait parfois auprès d’elle l’enchaînaient à lui encore plus absolument que son impérieuse ou câline tendresse des autres heures. Ils la grandissaient dans son rôle d’épouse-mère de cet homme qui redevenait enfant, qu’il fallait soutenir et consoler, chérir comme le plus petit des tout petits…