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Dans toute vive tendresse paternelle gît une inconsciente et invisible jalousie masculine. Fort correct envers son gendre, M. Lauraguet guettait néanmoins impatiemment la revanche qu’il ne doutait point de prendre un jour, lorsque sa fille lui reviendrait « désabusée sur ce mariage absurde qu’elle avait exigé, la tête tournée par cet écrivailleur. »

Quant à Madame Lauraguet, telle que beaucoup d’êtres au cœur étroit, qui ne sauraient dédoubler leur affection, sa fille aînée seule existait pour elle. Et, depuis le mariage de Lucie, la venue des quatre bambins charmants de celle-ci, dont elle raffolait, la grand’mère s’absorbait entièrement dans le ménage de son idole qu’elle comblait de tendresse et de cadeaux. À l’égard de Suzanne, l’on se bornait à lui verser strictement les 1.200 francs de rente représentant sa dot, et au froid baiser du jour de l’An, accompagné de l’invariable cadeau, un objet mobilier cossu dont le style s’harmonisait à rebours avec le genre ultra-moderne que Robert avait fait adopter à sa jeune femme. Présent rendu par les jeunes gens avec perte au marchand, ou jeté au fond de quelque cabinet. En ce faisant, ils n’avaient aucune crainte de blesser les susceptibilités familiales. M. et madame Lauraguet prétextaient de leur âge et de leurs rhumatismes pour ne jamais monter les cinq étages du logis de leur fille. Il y avait bien un ascenseur, mais ni l’un ni l’autre de ces anciens provinciaux, tout de suite acclimatés sur la rive gauche, et méfiants à l’égard des demeures et des usages modernes, n’auraient consenti à confier leurs précieuses existences à un pareil engin.

Les seules relations que Robert et Suzanne gardaient avec ces gens étaient cinq ou six dîners par an, rue d’Assas, auxquels assistait le jeune ménage, et la visite