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gnait point dans un grand quotidien le reportage qui le faisait vivre, avec ces hauts et ces bas perpétuels du journalisme ; — à présent que Robert Castely, sa femme, la mignonne Suzanne, et le docteur Julien Dolle, se trouvaient seuls, la discussion, de générale qu’elle était, se particularisait brusquement.

Et, entre ces jeunes gens, amis éprouvés, pour ainsi dire complices en leur angoisse « d’arriver », de secouer l’obscurité, la pauvreté, la médiocrité, leur acharnement de parvenir au faite de la fortune et de la renommée, il passait en cet instant un souffle étrangement tragique…

Son coude nu, blanc et fragile, sortant du peignoir rose garni de dentelles, appuyé sur la table, ses doigts frêles brisant distraitement des miettes de pain oubliées, Suzanne, sa tête blonde penchée, ses fins traits tirés par une profonde et silencieuse émotion, écoutait les deux hommes avec une révolte, une anxiété, un effroi que son petit cœur vaillant et dévoué refoulait de son mieux.

Robert et Julien fumaient. L’un et l’autre n’avaient guère plus de trente ans, et cependant, sur leurs visages juvéniles — celui, entièrement rasé, du chirurgien, face coupante, aux méplats aigus ; celui, plus beau, plus intellectuel, de l’auteur dramatique, aux yeux de rêve et de passion, à la blonde moustache soyeuse — sur ces traits où persistait de l’adolescence, s’imprimait aussi une vieillesse précoce, l’amertume, la lassitude de déjà sept ou huit années d’âpre lutte, de combat acharné, d’espoirs magnifiques et de cruelles retombées.

Et, pour la seconde fois, Robert, la voix imperceptiblement altérée, recommençait à développer cette théorie nouvelle qu’a fait surgir en l’égoïsme éternel des hommes la spéciale difficulté de vivre des temps actuels.

— Oui, il faut le dire et le crier… La procréation est une chose imbécile et criminelle, si elle n’est pas rai-