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Introduction

Près de 25 % des vaches laitières françaises sont présentes dans des exploitations de polyculture-élevage. Un chiffre stable qui contraste avec la décroissance enregistrée dans la plupart des autres grands pays laitiers européens où cette valeur a souvent été divisée par 2 depuis les années 1990 (Allemagne 16 %, Italie 8 %, Royaume-Uni 5 %, Danemark 4 %[1]). En France, ces exploitations mixtes obtiennent de meilleurs résultats économiques que les exploitations laitières spécialisées (à l'exception notable de 2009) et rivalisent avec les exploitations laitières européennes les plus compétitives (Pays-Bas) (Perrot et Chatellier, 2009).

Le fait que la France laitière ait su garder une composante plus forte de ses exploitations en système de polyculture-élevage ne doit rien au hasard mais relève assez directement d'une différence de politiques laitières nationales. La politique française qui a privilégié l'ancrage de la production sur tout le territoire, y compris des territoires à bon potentiel agronomique et à l'orientation laitière peu marquée a, de fait, jusqu'à présent favorisé ces exploitations de polyculture-élevage. Elles ont connu des croissances individuelles particulièrement fortes, notamment des ateliers laitiers, qui les a conduit à mettre en place, de façon dominante, des systèmes à forte productivité (du travail, des animaux, des surfaces) d'autant plus qu'elles sont situées dans des milieux favorables.

Face à la spécialisation et aux économies d'échelles choisies par nos concurrents européens, quels sont les avantages économiques et environnementaux procurés par la polyculture-élevage pour la filière laitière française ? À l'heure de « l'intensification de l'usage des processus écologiques », de la nécessité de faire évoluer les systèmes de production vers un haut niveau de rendement physique tout en réduisant tant leurs impacts environnementaux que leur dépendance vis-à-vis de ressources externes dont la disponibilité pourrait devenir incertaine (ANR, 2008), de quels atouts dispose la France laitière qui a su garder une composante plus forte de systèmes de polyculture-élevage ? Potentiellement reconnues comme un idéal agronomique, quel est aujourd'hui le positionnement de ces exploitations mixtes en termes de compétitivité et de durabilité environnementale? Telles sont les questions qui ont présidé au lancement de la série d'investigations présentées dans cet article à partir de l'analyse des données des fermes du RICA (Réseau d'Information Comptable Agricole) et des Réseaux d'élevage.

L'analyse du fonctionnement et des résultats des exploitations de polyculture-élevage apparaît d'autant plus nécessaire que ces exploitations présentent des signes d'instabilité très nets. En effet, si la politique laitière française a façonné le visage des exploitations actuelles, le changement de contexte économique et réglementaire en cours au niveau européen (abandon du contingentement, forte réduction de la régulation publique des marchés, découplage total des aides directes en vue de favoriser la liberté de produire et de répondre aux signaux du marché) pourrait avoir des effets importants. Le passage de la régulation à une concurrence accrue entre exploitations laitières de différents bassins de production (français et européens), ou entre productions au sein d'une exploitation pourrait provoquer, sans actions politiques correctrices, des mouvements importants de spécialisation des exploitations et des territoires, des évolutions des systèmes de production guidées par une rationalité économique privée n'intégrant pas les problématiques montantes autour des coûts et biens publics notamment environnementaux.

  1. 1. % de vaches laitières détenues dans des exploitations des OTEX 13 (Céréales et Oléoprotéagineux), 14 (Cultures Générales); 60 (Polyculture) et 81 (Grandes cultures et herbivores). Calcul des auteurs à partir de l'enquête structure européenne 2007 et du RICA européen 1989-2008.

8 Notes et études socio-économiques n° 37 - Janvier-Juin 2013