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avec Aïoub fils d’Omar, dans un jardin qui avait appartenu a Amr fils d’El-As (le conquérant de l’Egypte). Chamardel était l’intendant, le surveillant de cette propriété. Lui-même a raconté l’anecdote. La voici. Quelques instants après que l’on fut arrivé, Soleymân dit : « Qu’a ces biens Dieu ajoute encore d’autres biens, et qu’il vous les conserve ! » Puis, comme s’il se mourait de faim, et n’en pouvait mais, il se laisse aller contre une branche d’arbre et s’acoute là d’un air épuisé, comme un homme qui va défaillir. « Mon cher Chamardel, me dit-il, est-ce que tu n’aurais pas quelque chose à me donner à manger ? — Si, si, répondis-je ; j’ai un chevreau cuit, un chevreau superbe que nous nourrissions avec la plus minutieuse attention, à qui le matin on donnait le lait d’une vache, et le soir le lait d’une autre vache. Chamardel, apporte-moi vite ce chevreau cuit. » Je lui apportai le chevreau, charnu, dodu, une véritable outre de graisse. Notre homme mange, mange ; … et il n’invite Omar et son fils que lorsqu’il ne reste plus qu’une cuisse : « Allons ! leur dit-il. — Je jeûne, répond Omar. » Soleymân acheva d’avaler la bête. Puis : « Chamardel, me crie-t-il, est-ce que tu n’as rien à me donner à manger ? — Par Dieu si ! répliquai-je ; j’ai là, préparées, cinq poules d’Inde magnifiques, à ventre renflé et rebondi comme des autruches. — Apporte, apporte vite, mon cher Chamardel. » J’apporte les poules d’Inde. Et voilà mon homme qui à pleines mains empoigne successivement chaque dinde par les pattes, l’écartèle lestement, et plus lestement encore en happe aux dents les morceaux et en termine le plus complètement du monde. Puis : « Chamardel, me dit cet affamé, mon ami Chamardel, tu n’as rien à me donner à manger ? — Si, par Dieu ! si ; j’ai une bouillie délicieuse, au lait excellent, une bouillie jaune comme de l’or. — Vite, vite, Chamardel, apporte-moi cette bouillie-là. » J’apporte la bouillie en une grande cruche à sommet rétréci