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FEMMES ARABES

hémistiches et créaient ainsi des légendes, des traditions, des souvenirs, l’histoire de leur presqu’île. Pour avoir quelque renom dans la tribu, il fallait qu’un guerrier, l’homme des batailles et des coups hardis, fût poète et sût assaisonner de vers un coup de lance et un coup de sabre, chanter ses faits et gestes en hémistiches irréprochables. Aussi, combien de ces héros bédouins eurent les honneurs de l’éloge funèbre dans les rimes animées et fraîches d’une sœur, d’une mère, d’une amante, d’une maîtresse ! car, là, les femmes avaient naturellement le droit des poètes ; rimer était, parmi elles, chose simple et commune elles n’en étaient ni plus fières, ni moins tendres, ni moins aimantes. Oui, un cavalier des cavaliers, un chevalier parfait devait être guerrier, amoureux et poète ; charmante trinité, la seule qu’adoraient les filles du désert, toutes les filles de l’Arabie. Les rusées ! ce sont elles qui l’avaient inventée.

Ce sont elles aussi qui inspiraient les poètes. Là aussi, l’amour soufflait ses frémissements, et ses douceurs, et ses souffrances embaumées, dans tous les cœurs poétiques, dans les âmes les plus âpres et les plus déshéritées de la fortune. Pas une kacîdeh, c’est-à-dire pas une poésie (car il n’y jamais de longs poèmes arabes), ne manqua, dans les beaux temps, à ouvrir ses premiers hémistiches autrement que par un salut, ou un soupir, ou un éloge, ou un souvenir à la dame du poète. Les premières rimes étaient pour la belle que le poète aimait ; eût-il à tracer des massacres, des malédictions, des œuvres de carnage et de sang, la première pensée était un hommage, ou un sourire, ou un regret d’amour. La femme, toujours la femme au sommet de toute poésie, toujours la fleur d’amour au front des premières rimes. En quels pays donc les poètes ont-ils été aussi courtois, aussi gracieusement terribles ? Eh ! l’amour est le souffle vital de tout poète. Ceux qui ont créé les grâces, qui ont fait une belle femme