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est d'abord pleine d'eau propre, et que l’on dépose une trace d'acide oléique sur l'une des parties, la tension superficielle baisse aussitôt de ce côté, restant celle de l'eau pure pour l'autre partie. Quand la barrière mobile se déplace, la tension superficielle change seulement pour la surface graissée, reprenant une même valeur quand la barrière reprend une même place, l'acide oléique ayant donc forcément repris la même densité superficielle.

La notion du « fluide superficiel » ainsi définissable, fluide à deux dimensions que l'on peut comprimer par une sorte de piston linéaire, n'a été clairement comprise et établie que grâce à de récents travaux de André Marcelin[1]. Pour une dilution très grande, les molécules se meuvent à la surface de l'eau, comme les molécules d'un gaz, exerçant une pression (linéaire) sur les contours qui les arrêtent. Cette pression, qui est la différence entre la tension superficielle de l'eau pure et celle de l'eau graissée, grandit quand la densité superficielle croît, probablement d'abord en raison inverse de la surface, puis plus rapidement pour une certaine densité maximum, ou densité de saturation, jusqu'à ce qu'il se produise une discontinuité réversible qu'on peut comparer à la liquéfaction d'une vapeur saturante[2] : une phase nouvelle apparaît sous forme de disques d'acide oléique flottant à la surface. Réciproquement, quand on voit flotter un disque d'acide oléique sur une surface grasse, la pression linéaire contre le contour de cette surface a la valeur maximum qui vient d'être définie, et si l’on accroît la surface, le disque disparaît progressivement, à pression linéaire constante, par une «évaporation » à deux dimensions ; après sa disparition, la pression décroît, les phénomènes précédents étant retrouvés dans l'ordre inverse. La densité de saturation est de l'ordre de 2 milligrammes au mètre carré (1,8 mmgr.) pour l'acide oléique ; en supposant (ce qui semble le rapprochement maximum) que les molécules sont alors aussi serrées que dans l'acide oléique liquide, cela ferait pour la pellicule saturante une épaisseur de 2 millimètres environ ; la molécule d'acide oléique devrait donc avoir une dimension au moins égale à 2

  1. Ann. de phys., 1913. (C. R..1921 et 1922.) Des expériences extrêmement élégantes de Devaux (1904), puis de Labrouste (1914), montrent qu'on peut refouler la matière grasse rien qu'en soufflant sur l'eau qui la porte, et sans autre matériel qu'une cuvette et de l'eau courante déceler la présence de pellicules grasses qui ne pèsent guère que 1 milligramme au mètre carré. Mais au contraire de ce que ces auteurs ont cru, la densité superficielle atteinte par ce refoulement (et qui varie avec l'intensité du souffle) ne marque aucun seuil, aucune discontinuité (pas plus que, pour une densité superficielle un peu plus grande, l'arrêt des mouvements du camphre, signalé par Rayleigh).
  2. Cette discontinuité a échappé à lord Rayleigh, sans doute parce qu'il employait des corps impurs (huiles du commerce). Mais il a bien vu (Phil. Mag., 1895) qu'au delà de 2 milligrammes au mètre carré, la tension ne décroît plus que très lentement, si elle décroît.