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Or, quand on aperçoit dans le champ quelques centaines de grains qui s'agitent en tous sens ou disparaissent en même temps qu'apparaissent de nouveaux grains, on se rend vite compte que l'on ne peut même apprécier grossièrement le nombre des grains ainsi à chaque instant aperçus. Le plus simple parait alors de faire des photographies instantanées de chaque tranche. J'ai, en effet, employé ce procédé ; mais, pour les diamètres inférieurs à 0.5 microns, je n'ai pu obtenir de bonnes images, et j'ai eu recours à l'artifice suivant : Je plaçais dans le plan focal de l'oculaire une rondelle opaque percée par une aiguille d'un très petit trou. Le champ se trouvait donc extrêmement réduit, et l'oeil pouvait saisir d'un seul coup le nombre exact des grains perçus à un instant donné. Il suffit pour cela que ce nombre soit toujours inférieur à 5 ou 6. Opérant ainsi à intervalles réguliers, de quinze en quinze secondes, par exemple. on note une série de nombres dont la valeur moyenne s'approche de plus en plus d'une limite qui définit la fréquence moyenne des grains, au niveau étudié. Pour juger l'équation de répartition, nous n'avons plus enfin besoin que de savoir mesurer le rayon des grains. Cela peut se faire de plusieurs manières (et, incidemment, la concordance des résultats ainsi obtenus m'a permis d'étendre la loi de Stokes jusqu'au seuil des grandeurs ultra-microscopiques). La plus directe consiste à compter les grains contenus dans un volume connu d'émulsion titrée, ce qui donne la masse d'un grain et, par suite, son rayon, puisque l'on connaît sa densité. J'ai utilisé pour cela le fait, accidentellement observé, qu'en milieu très faible-ment acide les grains de gomme-gutte se collent sur le verre. A distance notable des parois, le mouvement brownien n'est pas modifié; mais, sitôt que les hasards de ce mouvement amènent un grain au contact d'une paroi, ce grain s'immobilise. L'émulsion s'appauvrit ainsi progressivement, et, après quelques heures, tous les grains qu'elle contenait sont fixés. On peut alors compter à loisir tous ceux qui proviennent d'un cylindre de base arbitraire (mesurée à la chambre claire). Bref, nous avons le moyen de faire toutes les me-sures qui sont nécessaires pour juger l'équation de répartition.

7. — Disons d'abord comment su distribuent les grains d'une émulsion uniforme. Au début, après l'agitation qui accompagne la mise en observation, on voit sensiblement Mitant de grains aux divers niveaux. Mais, en quelques minutes, les couches inférieures s'enrichissent, et cet enrichisse-ment tend vers une limite, atteinte en quelques heures pour mes émulsions, oit la distribution était sensiblement la même après 5 heures ou après 15 jours. Il est alors facile de voir si cette répartition est exponentielle. A titre d'exemple, pour des grains de gomme-gutte ayant 0,212 microns de rayon et 0,2067 comme densité apparente, j'ai trouvé en 4 tranches horizontales placées, à partir du fond de la cuve, aux niveaux

5 microns; 55 microns; 65 microns; 95 microns;

de concentrations représentées par les nombres

100; 47; 22,6; 12;

pratiquement égaux aux nombres

100; 46; 23; 11,1;

qui décroissent de façon exponentielle. la numération a porté sur 15 000 grains. Ainsi la distribution des graine a bien la même forme que celle d'un gaz pesant en équilibre. J'ai retrouvé la même loi, avec une chute de concentration plus ou moins rapide, pour des grains de gomme-gutte de diverses tailles; puis, sur l'insistance amicale et avec l'aide de M. Dabrowski, j'ai refait les mesures pour des grains de mastic, dont la densité apparente 0,065 est plus que 3 fois plus faible, ce qui fait un changement considérable dans les causes qui influent sur la répartition. Néanmoins la loi exponentielle a encore été retrouvée. La figure ci-contre reproduit les dessins, d'après photographies, de coupes équidistantes, les unes dans une émulsion de gomme-gutte, les autres dans une émulsion de mastic ; la raréfaction progressive y est évidente. Cette raréfaction est frappante quand, gardant les yeux fixés sur la préparation, on soulève rapidement le microscope au moyen de sa vis micrométrique. On voit alors les grains se raréfier rapidement, comme fait l'atmosphère autour d'un aérostat qui s'élève, à cette réserve que quelques microns dans l'émulsion valent plusieurs kilomètres dans l'atmosphère. La loi exponentielle une fois établie, l'équation donnera, pour chaque émulsion, une valeur définie