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à partir de grandeurs mesurables, nous pourrons juger notre théorie. Deux cas pourront en effet se présenter : ou bien le nombre qui en résulterait pour N sera grossièrement différent du nombre obtenu par Van der Waals, et, en ce cas. surtout s'il change avec les grains étudiés, le crédit des théories cinétiques sera diminué, et l'origine du mouvement brownien restera à trouver; ou bien ce nombre sera pour feuler; les tailles et tous les genres de grains de l'ordre de grandeur prévu, et, en ce cas, nous aurons droit de regarder comme établie la théorie moléculaire de ce mouvement. Un procédé peut paraître direct : admettons qu'on ait mesuré la masse d'un granule; ne peul-on avoir au moins idée de sa vitesse moyenne, et par conséquent de son énergie, par des lectures directes, en divisant par la durée d'une observation la distance des deux positions du granule au commencement et à la fin de cette observation? En fait, de telles évaluations sont grossièrement fausses. Les enchevêtrements de la trajectoire sont si nombreux et si rapides qu'il est impossible de les suivre et que la trajectoire notée est infiniment plus. simple et plus courte que la trajectoire réelle. Une mesure directe est donc impossible. Voici la marche que j'ai suivie :

5. — Considérons une émulsion à grains identiques, dont je dirai, pour abréger, qu'elle est uniforme. Il m'a semblé que les grains de cette émulsion devaient se répartir en fonction de la hauteur comme fait un gaz sous l'action de la pesanteur. Un examen plus attentif a confirmé cette idée et m'a donné la loi de raréfaction par un raisonnement très semblable à celui qui relie l'altitude à la pression barométrique. Imaginons une émulsion uniforme en équilibre Jans un cylindre vertical ayants pour section droite. L'état de la tranche horizontale comprise entre les niveaux h et h + dh ne serait pas changé si elle était emprisonnée entre deux pistons perméables aux molécules d'eau, mais imperméables aux grains. Chacun de ces pistons serait soumis, par les chocs des grains qu'il arrête, à une pression osmotique. Si l'émulsion est diluée, cette pression se calculera par le mémo raisonnement que pour une solution étendue, en sorte que si au niveau h il y a n grains par unité de volume, la pression osmotique P sera égale à (2/3)*n*W, si W désigne l'énergie granulaire moyenne; elle sera (2/3)*(n + dn)*W au niveau h + dh. Or, la tranche de grains considérés ne tombe pas; il y a date équilibre entre la différence des pressions osmotiques, qui la sollicite vers le haut, et le poids total des grains, diminué de la poussée qu'ils éprouvent, qui la sollicite vers le bas. En appelant Phi le volume de chaque grain, Delta sa densité, et delta celle du liquide inter-granulaire. Nous voyons ainsi que

(-2/3)*s*W*dn = n*s*dh*Phi*(Delta - delta)*g,

qui, par intégration, entraîne la relation suivante entre les concentrations n(0) et n en deux points dont la différence de niveau est h

(2/3)*W*log(n(0)/n) = Phi*(Delta - delta)*g*h,

c'est-à-dire, dans le cas de grains sphériques de rayon a :

(2/3)*W*log(n(0)/n) = (4/3)*Pi*(a^3)*(Delta - delta)*g*h,

équation qu'on peut appeler équation de répartition de l'émulsion. Si l'on peut mesurer les grandeurs autres que W qui figurent dans cette équation, on verra bien :

1° si elle se vérifie pour chaque émulsion ;

2° si la valeur qu'elle donne pour W reste fixe quand l'émulsion varie;

3° si cette valeur concorde avec celle que la théorie cinétique a déjà assignée à l'énergie moléculaire.

6. - Après quelques tâtonnements, j'ai pu faire des mesures sur des émulsions de gomme-gutte, puis (avec l'aide de N. Dabrowski) sur des émulsions de mastic. Ces deux matières, précipitées par l'eau de leur solution alcoolique, donnent des grains parfaitement sphériques. La densité apparente (Delta - delta) de tels grains se mesure sans difficulté par la méthode du flacon telle qu'on l'applique aux poudres insolubles (la résine en suspension se dose par simple dessiccation à l'étuve). Il faut alors savoir préparer une émulsion où les grains aient à peu près le même rayon. Le procédé que j'ai employé peut se comparer au fractionnement d'un mélange liquide par distillation. De même que, pendant la distillation, les parties d'abord vaporisées sont relativement plus riches en constituants volatils, de mémo pendant la centrifugation d'une émulsion pure les parties d'abord sédimentées sont relativement plus riches en gros grains, et l'on conçoit qu'aile centrifugation fractionnée permette de séparer les grains selon leur taille. Une fois obtenue une émulsion uniforme, il faut la disposer pour l'observation. Cotte observation ne se l'ait pis, comme on pourrait penser, sur une hauteur de quelques centimètres ou même de quelques millimètres, mais sur la faible hauteur d'une préparation pour microscope. Dans une cuve plate, haute de 1/10 de millimètre (cuves de Zeiss à numération de globules du sang) on place une goutte d'émulsion qu'on aplatit aussitôt par un couvre-objet qui ferme la cuve et dont on paraffine les bords pour éviter l'évaporation.

La préparation est alors portée sur la platine, rendue bien horizontale, d'un bon microscope. L'objectif, de très fort grossissement, a une faible profondeur de champ, et l'on ne voit nettement, à un même instant, que des grains situés dans une tranche horizontale très mince dont l'épaisseur est de l'ordre du micron. Si l'on élève ou abaisse le microscope. on voit les grains d'une autre tranche. La distance de ces deux tranches, qui va être la hauteur h de l'équation de répartition, s'obtient en multipliant le déplacement h', vu sur la vis du microscope, par l'indice relatif des milieux que sépare le couvre objet. Il faut maintenant pouvoir déterminer le rapport (n(