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NÊNE.

Alors Samuel, celui qu’on appelait le Salutiste, un homme d’une quarantaine d’années qui était assis en face à l’autre table, toucha le bras de Tiennette et, tout bas, d’une voix polie :

— Mademoiselle, ayez donc la bonté de remplir ce pichet d’eau claire.

Agacée, elle répéta très haut.

— Remplir ce pichet d’eau claire ! En voilà un d’une autre espèce ! Il lui faut de l’eau à celui-là !

Toute la tablée éclata de rire et Gédéon cria :

— C’est pas un homme, c’est un canard !

Samuel devint rouge.

— Vous êtes un impoli, mon garçon… Je n’insulte personne, moi… Je suis ma croyance… D’abord, si vous aviez de l’instruction, vous sauriez que le vin…

Sans souci du lieu, il s’était retourné sur son banc et, chétif, avec de maigres gestes, il commençait un discours, un des prêches entendus aux réunions de la société religieuse de tempérance.

Les autres qui avaient d’abord fait silence, intrigués par ce jargon bizarre, le tournèrent en dérision.

Encore un drôle de garçon ce Samuel ! Voilà-t-il pas maintenant qu’il était péché de boire du vin !

Gédéon criait : c’est un canard ! heureux d’avoir trouvé cette plaisanterie. Et, très excité, quand Tiennette apporta le pichet, il lui prit des mains et versant lui-même :

— Tiens, mon canet, barbote !

Sans marquer l’insolence, l’autre leva son verre :