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LA PARCELLE 32

monde sortait aux champs : les femmes, les enfants, les chétifs et jusqu’aux vieux hors d’âge. Mais aussi, la récompense venait !

Le blé se vendait à un très haut prix et le bétail n’avait plus de cours. Quant au lait… Quant au lait qui était la grosso affaire à Fougeray, si l’on en parle, il vaut mieux n’en pas parler trop clairement… Car le gouvernement avait taxé le beurre.

On prenait l’argent du lait et on le mettait avec l’argent du blé, avec l’argent des pommes de terre, l’argent du bétail et l’argent des allocations que tout le monde avait bien fini par obtenir.

Et, encore une fois, il serait très méchant et tout à fait absurde de prétendre que cela faisait oublier le chagrin des séparations. Tout au plus pourrait-on dire que cela le rendait moins visible chez certains.

Les gros cultivateurs faisaient fortune ; les petits payaient leurs dettes et arrondissaient leurs biens. Les paysannes, quand elles allaient à la ville, dressaient la tête devant les dames.

À Fougeray, le curé en soutane élimée, le facteur et le maître d’école traînant des sabots plats, n’étaient plus du tout considérés. Il n’y avait guère au-dessous d’eux qu’un vieux réfugié belge, Jorden le dentellier.

Peu à peu, une fièvre d’orgueil gagna tout le monde. Les fermiers voulurent être propriétaires ; ceux qui avaient un champ en voulurent deux… et non point dans un an, dans deux ans, après la guerre, mais tout de suite.

Quelques années plus tôt, une ferme s’était vendue à Fougeray. Elle s’était vendue péniblement et les acheteurs qui payaient cent cinquante