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LA PARCELLE 32

Éveline ne répliqua pas ; ils achevèrent le repas en silence.

Bernard refusa d’un geste maussade un morceau de gâteau fromagé que sa tante avait mis de côté pour lui. Il quitta la table le premier et sortit par la cour.

Comme Éveline desservait, Mazureau la prit soudain par le bras.

— Éveline, dit-il, as tu ton idée pour ce gars ?

— Vous le savez bien, père !

— As-tu songé qu’il n’a pas une boisselée de terre ? Toi, tu auras l’argent de ton inventaire quand tu t’établiras… et, quand je n’y serai plus, tu auras des champs…, tu auras des champs, Éveline !

— Cela ne fait pas tout le bonheur, père ! dit-elle doucement.

La main du vieux lui serra rudement l’épaule.

— Veux-tu que je te dise, Éveline ? Eh bien ! c’est un gars de rien ! Il ne sait pas ce que c’est que d’avoir du bien… Il parle de vendre les champs comme on vend les aumailles… Et c’est un gars pareil, sans cœur et sans esprit, que tu veux amener dans ma maison ?

Elle baissait la tête, trop craintive pour faire nettement front, mais décidée quand même à ne pas céder, à tenir pour son amour.

— Dans cette maison ou ailleurs, je serais heureuse avec lui et, quand il reviendra, mon bonheur sera de le suivre où il voudra aller.

Il la repoussa durement.

— Oui, tu le suivrais…, et quand je n’y serais plus vous vendriez tout… Et ce serait ton bonheur ! ton bonheur !… Qu’est-ce que c’est que le bonheur ?