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LA PARCELLE 32

Marie demanda tout bas :

— Pourquoi ne t’a-t-il pas laissée dormir ? Sont-ils donc toujours aussi durs pour toi ?

Éveline hésita.

— Ils ne sont pas durs, dit-elle, mais ils ne veulent pas comprendre ma souffrance ; il n’y a que toi, Marie, pour la comprendre.

La vieille fille sentit son cœur mollir ; des larmes lui montèrent aux yeux.

— Oui, dit-elle, je la comprends… C’est que je me mets à ta place, vois-tu, et je souffre comme tu dois souffrir.

Elle ajouta en rougissant :

— Ce matin, j’ai trouvé dans le tiroir de ma commode un souvenir qui vient de lui… C’est son portrait… Il l’avait fait faire pendant son temps de service et il l’avait envoyé chez nous en reconnaissance d’une petite pièce que mon père lui avait donnée, à son départ pour le régiment.

Elle avait tiré de son corsage le portrait soigneusement enveloppé. Elle le mit entre les mains tremblantes d’Éveline.

— Regarde ! dit-elle ; ce n’est pas trop passé ; il a l’air tout jeune…, il rit… De plus gais que lui, il n’y en avait pas.

Tête contre tête, toutes les deux examinèrent le portrait. Éveline l’ayant porté à ses lèvres, Marie le lui prit des mains et le baisa à son tour.

— Je n’ai rien de lui, moi, murmura Éveline ; son portrait, mon père l’a déchiré en miettes… Non, reprit-elle, je n’ai rien…, rien que ; deux pauvres lettres écrites au crayon… J’irais loin pour avoir un souvenir comme celui-ci.