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la guerre des boutons


ou moins gros suivant la taille et l’estomac de leur destinataire, quand la porte grinça et que son fils apparut.

– Ah ! te voilà, tout de même ! fit-il d’un petit air mi-sec, mi-narquois qui n’annonçait rien de bon.

Lebrac jugea prudent de ne pas répondre et gagna sa place au bas de la table, ignorant d’ailleurs tout des intentions paternelles.

– Mange ta soupe, grogna la mère, elle est déjà toute « réfroidiete » !

– Et boutonne donc ton blouson, fit le père, tu m’as l’air d’un marchand de cabes[1].

Lebrac ramena d’un geste aussi énergique qu’inutile sa blouse qui pendait dans son dos, mais n’agrafa rien, et pour cause.

– Je te dis d’agrafer ta blouse, répéta le père. Et d’abord, d’où viens-tu comme ça ? Tu sors pas de classe peut-être, à ces heures-ci ?

– J’ai perdu mon crochet de blouson, marmotta Lebrac, évitant une réponse directe.

– Las-moi ! Mon doux Jésus ! s’exclama la mère, quels gouillands[2] que ces cochons-là ! ça casse tout, ils déchirent tout, ils ravalent tout ! Qu’est-ce qu’on veut devenir avec eux ?

  1. Cabe, bique, chèvre.
  2. Gouilland, homme de mauvaise vie, ivrogne et débauché.