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Un matin, à quelques coups d’ailes du nid, elle avait tout d’un coup pris conscience de sa vie en ne recevant plus du bec maternel la pâtée coutumière d’insectes et de fruits. Aucune fibre en elle n’avait frémi de cet abandon, l’instinct filial qui survit quelquefois chez certains animaux supérieurs à la période d’élevage n’existait pas chez elle, car la sollicitude maternelle était morte avec l’éveil de sa conscience. Elle ne ressentit même pas l’espèce d’ennui, né de l’ignorance, qui étreint les êtres livrés pour la première fois à eux-mêmes, en face de tous les problèmes de l’existence. Un subconscient lui disait qu’elle ne devait pas craindre la vie. La forêt s’ouvrait à elle comme un domaine, ruisselante de couleurs, de lumières, de rumeurs, imprégnée de chaleur, crevant de provende. Elle n’avait qu’à y pénétrer, qu’à se laisser porter sur le flux de vie née avec elle et comme pour elle ; et, légère, insouciante, caquetante et jacassante