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passagers, venaient de temps à autre crever en soupir de respiration pénible, en suivant, telles des trachées pulmonaires, les grosses tiges des nénuphars qui ourlaient le pourtour de leurs feuilles d’une dentelle fugace de rides, comme s’ils eussent tenté traîtreusement d’agrandir l’usure du miroir éternel de ce coin de ciel.

Mais presque aussitôt tout retombait dans la lourde torpeur que n’agitait pas un fil de vent, que n’égayait pas un chant d’oiseau et que berçait seule, dans les prairies fauchées, la cantilène monotone des grillons.

Le peuple vert des grenouilles avait presque suspendu dès l’aurore son concert : seules encore, dans le matin, quelques solistes enragées, au goître blanc, gonflant leur membrane tympanique à fleur de peau, avaient lancé leur chant monotone de croa, croax, corex, croex.

Mais toutes maintenant restaient immobiles, figées sur les feuilles où l’engourdissement les avait surprises, les yeux grands ouverts dans leur cercle d’or, respirant l’infini sans songer, muettes, ne daignant même pas jeter un coup d’œil