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d'esprit. La Sorbonne ébranlait ses pesants bataillons de syllogismes en baroco et en baralipton ; Pierre Doré écrivait ses Allumettes du feu divin et sa Tourterelle de Viduité ; Cathelan faisait la chronique scandaleuse de Genève sous le nom de Passavant parisien. Seul, Ronsard gardait un peu de dignité dans la mêlée ; il marchait droit à l'ennemi et, dans son style fier, aux grandes allures, reprochait aux réformés d'avoir mis, à la place du vrai Christ,

Un Christ empistolé tout noirci de fumée,
Qui, comme un Méhémet, va portant en la main
Un large coutelas rouge de sang humain.

Dans ce bruit confus de cris de guerre, au milieu de ces appels aux armes, une voix puissante se fait entendre, celle de Rabelais. Pendant cette première période de la satire, c'est bien lui qui représente le parti que l'on appellera plus tard le parti des Politiques, c'est-à-dire le parti de la tolérance et du progrès.

Rabelais, comme le fait remarquer M. Lenient, est une sorte de Luther français, en ce sens que le rôle que le théologien de Wittemberg joue dans l'ordre religieux, le curé de Meudon le représente dans l'ordre social. Nés la même année, de sang plébéien, l'un dans la cabane d'un mineur, l'autre dans un cabaret, tous deux moines, tous deux génies larges, lumineux et populaires, ils semblent se partager la tâche. A Luther la réforme religieuse, à Rabelais le vin de la Renaissance, ce vin si fort et si généreux, dont il dit lui-même : « Il a source vive et veine perpétuelle. »

Ce n'est pas le lieu d'analyser ici l'œuvre colossale du grand Homère bouffon ; mais il est permis dédire que Rabelais aborde, sous la forme satirique, toutes les grandes questions de son temps et qu'il les résout d'une façon vraiment souveraine.

Education, conditions sociales, justice, religion, gouvernement, rien ne lui échappe, depuis les détails les plus infimes jusqu'aux vues d'ensemble les plus grandioses. Plus que