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elle relève plutôt de l'esprit, elle raille, elle dispute, elle s'adresse plus à l'intelligence qu'au cœur et essaye d'écraser ses adversaires sous le ridicule. Dans la seconde, qui est celle des guerres de religion, elle relève surtout du sentiment ; elle devient passionnée, violente et met en jeu les plus puissantes émotions de l'homme ; elle est réellement et foncièrement tragique.

Le XVIIIe siècle littéraire nous offre, à peu de chose près, le même phénomène : il débute par la raillerie de Voltaire et se termine par la passion de Rousseau. Au XVIe siècle, Voltaire c'est Rabelais, Rousseau c'est Agrippa d'Aubigné.

C'est que les grands mouvements qui bouleversent les sociétés humaines ne diffèrent point des luttes que soutiennent les individus. Quand on part en guerre, on est plein d'enthousiasme, de confiance en soi, de dédain pour l'ennemi ; on rit, on raille, on escarmouche avec une sérénité superbe ; mais voilà que le choc a lieu, l'adversaire rend coup pour coup, il résiste, il se défend, il blesse ; alors la colère monte au cerveau, la fureur dirige les épées et l'ivresse du sang déchaîne à la fois toutes les énergies et toutes les passions.

Occupons-nous d'abord de la première époque, celle de l'esprit. Dès l'aurore du siècle, les trois tendances de la satire se manifestent clairement : elle est catholique, protestante ou politique.

Voici venir les satires protestantes : le fin sourire d'Erasme dans son Eloge pour la folie, le rire bruyant d'Ulrich de Hutten dans ses Lettres des hommes obscurs et, bientôt après, l'Apologie pour Hérodote d'Henri Estienne et les épitres et les épigrammes de Clément Marot, dont la verve légère et railleuse attaque en sourdine le Parlement, la justice et la religion :

L'oisiveté des moines et cagots,
Je la dirais, mais je crains les fagots !

Hélas ! pour son malheur, il finit par la dire, le gai trou-