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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

sortir. Mais toi tu ne penses qu’aux semences qui tombent dans la terre ou dans la matrice : c’est par trop inintelligent.

37

Tu vas mourir, et tu n’es encore ni simple, ni calme, ni sûr que rien d’extérieur ne peut te nuire, ni bienveillant pour tout le monde, et tu ne fais pas encore consister la sagesse dans la pratique de la justice[1].

38

Examine leurs âmes et vois les sages, ce qu’ils évitent et ce qu’ils recherchent[2].

39

Ce n’est pas dans [le principe directeur de] l’âme d’autrui

  1. [Cf. supra II, 6 ; infra V, 5 ; X, 8. Marc-Aurèle s’adresse volontiers de durs reproches qui nous attestent surtout la sincérité et les nobles scrupules de son âme.]
  2. [Couat : « et vois ce qu’évitent et ce que recherchent même les plus sages, » et, en note :

    « Pour le sens que je lui donne, cette pensée confine à plusieurs autres ; cf. notamment VII, 34. Je ne crois pas que Marc-Aurèle ait voulu conseiller d’étudier l’âme des sages afin de régler notre conduite sur la leur. C’est sur l’idée du bien lui-même que le Stoïcien doit régler sa conduite et non sur l’exemple des autres hommes. La vue de ce que font les autres doit nous détourner de les imiter. Le philosophe exprime ici son dédain pour la folie des hommes ; c’est un lieu commun du Stoïcisme. » — Cette interprétation me semble très ingénieuse et je l’adopterais volontiers : mais je crains que M. Couat n’ait fait quelque violence au texte grec. Au lieu de τοὺς φρονίμους, il a lu, ce me semble, les mots : τοὺς φρωνιμωτάτους αὐτούς. Supprimez les termes correspondants de sa traduction, « même » et « plus », qu’il a cru devoir ajouter, et le sens de la pensée change complètement.

    Gataker et Schultz avaient également senti la nécessité de modifier le texte : la correction de l’un est par trop facile ; celle de l’autre, trop hasardeuse ; à ne considérer que les impossibilités paléographiques, aucune de ces conjectures ne me semble valoir le αὐτοὺς de M. Couat. Mais était-il tant besoin de faire une conjecture ? Je m’en tiens, pour ma part, au texte des manuscrits : j’entends que Marc-Aurèle s’invite à comparer deux genres d’hommes, deux séries d’actes, et qu’il ne prononce pas son jugement. C’est donc à moi à deviner et à compléter sa pensée, ou plutôt à y répondre pour lui et comme lui ; à dire, soit : « Eh bien, la différence est nulle, » comme M. Couat ; soit : « c’est en effet tout le contraire, » comme Pierron. Selon la conclusion que je tirerai, le sens de la pensée sera changé. Mais le traducteur n’a pas à présumer cette conclusion, je veux dire à m’imposer la sienne, en remaniant le texte.

    Je ne crois pas, d’ailleurs, que Marc-Aurèle se fût fait ici la réponse que lui prête M. Couat. À la pensée VII, 34, à laquelle se réfère celui-ci, il n’est point question des sages, pas même des plus sages, mais seulement de ces gens, qui, là comme ici, s’appellent αὐτῶν. Au contraire, l’opposition des sages et… des autres est reprise plus loin (VIII, 3), et à la confusion des autres : et, pourtant, si les sages se nomment Diogène, Héraclite et Socrate, les autres sont Alexandre, César et Pompée.

    J’ai laissé subsister le mot « âmes » (cf. supra IV, 22, en note ; infra VI, 8, et la note) comme traduction de ἡγεμονικά, que j’ai interprété de façon plus précise au début de la pensée suivante. On aurait pu, ce me semble, écrire ici : Vois ce qui les mène, et vois même les sages, ce qu’ils évitent et ce qu’ils recherchent. — Sur la valeur de αὐτῶν, cf. supra IV, 16 ; infra VI, 6, en note.]