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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

vage, puéril, bestial, lâche, faux, caractère de bouffon, de [petit] marchand, de tyran.

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Étranger au monde est celui qui ne cherche pas à comprendre ce qu’il renferme[1], non moins étranger celui qui ne cherche pas à comprendre ce qu’il devient[2]. C’est déserter que de vouloir échapper à la raison qui fonde la cité[3] ; c’est être aveugle que d’avoir les yeux de l’esprit fermés, mendiant que d’avoir besoin d’un autre et de ne pas trouver en soi-même tout ce qui est utile à sa vie. C’est un abcès du monde, celui qui [fait sécession et] se sépare de la raison universelle de la nature[4] en se plaignant des événements qui lui arrivent ; cette nature, en effet, qui t’a apporté dans le monde, est aussi celle qui t’apporte ces événements. C’est un lambeau [détaché][5] de la cité, celui qui détache son âme de l’âme des êtres raisonnables, qui est une.

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Tel vit en philosophe qui n’a pourtant pas de tunique, tel qui n’a pourtant pas de livre. Cet autre, à moitié nu, dit : « Je n’ai pas de pain, et je reste fidèle à mes principes ; » moi, je n’ai pas la nourriture que l’on tire de la science et je reste aussi fidèle aux miens[6].

  1. [Couat : « ce qui y est. » J’ai fait cette correction et la suivante par raison d’euphonie.]
  2. [Couat : « ce qui y arrive. »]
  3. [Couat : « C’est s’exiler que s’enfuir hors des principes de la société civile. » — Var. : « hors des principes de l’association des citoyens. » — J’ai cru devoir, pour traduire λόγος πολιτικὸς, garder le mot « raison », que M. Couat a d’ailleurs rétabli dans un autre passage (IX, 12).]
  4. [Couat : « Celui qui se sépare de la raison universelle… est un apostume du monde. » — J’ai : 1o suivi en traduisant l’ordre du texte ; 2o rétabli le mot ἀφιστάμενος qu’avait négligé M. Couat ; 3o essayé de faire passer en français (abcès… sécession) un jeu de mots (ἀπόστημα… ἀφιστάμενος) que déjà nous avons rencontré dans les Pensées (cf. II, 16, et la note). C’est une raison semblable, la rencontre de ἀπόσχισμα et de ἀποσχίζων dans le texte grec, qui m’a fait ajouter un mot à la dernière phrase.]
  5. [Var. : « un déchet. » Voir la note précédente.]
  6. [Pour la traduction de cette pensée, les deux manuscrits de M. Couat sont très divergents. Je me suis efforcé de les concilier en adoptant ce qui me semblait le meilleur en chaque texte. Voici d’abord la leçon du second manuscrit, le dernier mot du traducteur : « Celui-ci fait de la philosophie bien qu’il n’ait pas de tunique, celui-là bien qu’il n’ait pas de livre, cet autre bien qu’à moitié nu. Je n’ai pas de pain, dit-il, et je reste fidèle à mes principes. — Et moi, je n’ai pas la nourriture que l’on tire de la science, et je reste aussi fidèle aux miens. » Dans la première rédac-