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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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Tout ce qui est avec toi en harmonie, ô monde, est aussi en harmonie avec moi. Rien de ce qui est opportun pour toi n’est pour moi prématuré ni tardif. Tout ce qu’apportent tes saisons est pour moi un fruit, ô nature. Tout vient de toi, tout est en toi, tout rentre en toi[1]. Le poète dit : Ô cité chérie, cité de Cécrops ! Et toi, ne diras-tu pas : Ô cité chérie, cité de Zeus ?

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Agis peu, dit le philosophe[2], si tu veux que ton âme soit contente. Ne vaut-il pas mieux dire : Fais[3] ce qui est nécessaire, fais ce que prescrit[4] la raison de l’être naturellement sociable, et comme elle le prescrit ? Ainsi l’on obtient à la fois le contentement de l’âme qui résulte des bonnes actions, et celui que l’on goûte à agir peu. Supprime, en effet, la plupart de tes paroles et de tes actes comme n’étant pas nécessaires, et tu auras moins d’affaires et plus de calme. Nous devons donc sans cesse nous répéter : « Peut-être ceci n’est-il pas nécessaire[5]. » Nous devons nous interdire non seulement les actions, mais encore les idées qui ne sont pas nécessaires : car nous supprimerons du même coup les actions superflues qui les suivent[6].

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Essaie de voir comment te réussit[7] la vie d’un homme de

  1. Cf. Saint Paul aux Romains, c. II, v. 36 : ὅτι ἐξ αὐτοῦ καὶ δι′ αὐτοῦ καὶ εἰς αὐτὸν τὰ πάντα.
  2. [Démocrite (dans Stobée, Ecl., II, 12) avait dit : « Ne cherche pas à tout savoir, si tu ne veux devenir ignorant, » et (dans Sénèque, Tranquillité de l’âme, 12) : « Pour vivre tranquille, il faut embrasser peu d’affaires publiques ou privées. »]
  3. [Var. : « Ne vaut-il pas mieux ne faire que… »]
  4. [Var. : « ce que comporte et comme le comporte… »]
  5. [Couat : « nous demander : ceci est-il nécessaire ? » — Dans les manuscrits on lit : « μή τι τοῦτο οὐ τὤν ἀναγκαίων ; » Ainsi ponctuée, cette phrase donne un sens absurde (car μὴ interrogatif ne signifie pas nonne, comme l’ont entendu Pierron, Barthélemy-Saint-Hilaire et M. Michaut, mais num). M. Couat l’a corrigée, en effaçant la seconde négation. J’ai cru plus naturel de conserver οὐ, en supprimant l’interrogation.]
  6. [Couat : « pour que celles-ci n’entraînent plus à leur suite les actions. » — Cette traduction fait supposer que M. Couat avait corrigé dans son texte παρέλκουσαι en παρέλκόμεναι. Je reconnais que le sens qu’on doit donner à παρέλκουσαι est très détourné. — Par les mots : « du même coup, » j’ai voulu rendre à la fois οὕτως et οὺδέ, qui a ici le sens, non de « pas même », mais de « non plus ».]
  7. [Couat : « où conduit. »]