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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

les choses sensibles, même celles qui nous séduisent le plus par les attraits du plaisir, ou qui nous éloignent par la crainte de la douleur, ou que l’orgueil célèbre à grand bruit ! Comme elles sont insignifiantes, méprisables, vulgaires, périssables, mortes même ! Voilà ce que notre intelligence doit s’appliquer à reconnaître. Que sont-ils ceux dont les opinions et les paroles donnent[1] la renommée ? Qu’est-ce que la mort ? Si on la considère [seule,] en elle-même, si l’analyse de la réflexion dissipe tous les fantômes que nous apercevons en elle[2], on n’y verra rien qu’un acte de la nature. Il n’y a qu’un petit enfant qui puisse craindre un acte de la nature, et la mort est non seulement un de ces actes, mais encore c’est un acte qui lui est utile. Comment[3] l’homme touche-t-il à la divinité, par quelle partie de lui-même, et dans quelles dispositions[4] faut-il que soit [à ce moment] cette partie de l’homme ?

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Il n’y a rien de plus malheureux que celui qui promène sa pensée sur tout ce qui l’entoure, qui fouille, comme dit le poète[5], les choses souterraines, qui épie les preuves de ce qui se passe dans l’âme de son prochain, et qui ne s’aperçoit pas qu’il lui suffirait de rester en contact avec le génie qui est au dedans de lui-même, et de le servir sincèrement. Servir ce génie, c’est se conserver pur de toute passion, de toute erreur, de toute mauvaise humeur contre ce qui nous vient des Dieux ou des hommes. Nous devons respecter ce qui nous vient des Dieux à cause de leur haute sagesse[6], et aimer

  1. [Le mot a disparu du texte grec.]
  2. [Couat : « si on soumet à l’analyse de la réflexion ce fantôme. »]
  3. Il y a une solution de continuité plus apparente que réelle entre la phrase πὢς ἄπτεται et les précédentes. Tout ce morceau dépend d’un verbe sous-entendu : « examine, cherche, » qui gouverne le premier et le dernier πὢς. Après avoir vu combien la vie était vaine, l’homme doit chercher ce qui le rattache à Dieu.
  4. πὢς ἔχῃ διακέηται. — Le sens de cette proposition ne me paraît pas douteux, mais un des deux verbes ἔχῃ διακέηται fait double emploi et rend le passage obscur : ἔχῃ est sans doute une glose.
  5. [Pindare, dans Platon (Théétète, 173 E)].
  6. [Couat : « à cause de leur perfection. » — Ce mot ne m’a pas semblé traduire avec une précision suffisante le grec ἀρετή. D’autre part, je n’ai pu écrire ici le mot « vertu » : je craignais de ne point m’entendre avec le lecteur. Ce que nous appelons vertu est quelque chose d’humain : l’ἀρετή des Stoïciens est presque surhumaine ; c’est un idéal qu’on n’atteint guère ; Caton mourant déclare que c’est un leurre. C’est par