Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

bien et cesse de t’étourdir en vain. Préserve-toi, en outre, d’une autre cause d’erreur. C’est folie que de se fatiguer à agir dans la vie, sans avoir un but où diriger toutes les tendances de notre âme et toutes nos idées sans exception[1].

8

On trouverait difficilement quelqu’un qui soit malheureux pour ne pas examiner ce qui se passe dans l’âme des autres, mais ceux qui ne suivent pas avec attention les mouvements de leur propre âme sont fatalement malheureux.

9

Se rappeler toujours ceci : quelle est la nature de l’univers et quelle est la mienne ? qu’est celle-ci par rapport à la première ? quelle partie de quel tout est-elle ? Et ceci : nul ne peut t’empêcher d’agir toujours et de parler conformément à la nature dont tu es une partie[2].

10

C’est en philosophe que Théophraste, comparant entre elles les fautes et les jugeant comme le ferait le sens commun[3],

  1. [Var. : « Les hommes avancés en âge s’égarent eux-mêmes dans leurs actes parce qu’ils n’ont pas un but vers lequel ils dirigent toutes leurs tendances, et conduisent une fois pour toutes leurs idées. »]
  2. Précepte capital des Stoïciens.
  3. [Qu’on me permette de signaler la locution κοινότερον συγκρίνειν, que M. Couat traduit par : « juger suivant le sens commun. » Rapprochée de φιλορόφως, elle peut surprendre d’abord, si l’on pense au mépris de l’humanité commune qu’affectaient les Stoïciens, à leur division des hommes en deux ou trois sages et une multitude de fous, à leurs paradoxes qui sont autant de défis portés au bon sens. C’est pourtant avec raison qu’on a rendu à cette pensée le premier mot (φιλορόφως) que deux des meilleurs manuscrits avaient attribué à la précédente ; et je ne pense point qu’il y ait lieu ici de corriger le texte traditionnel et d’y substituer la conjecture qu’on devine (car ils ne nous l’indiquent pas) sous le français de Barthélemy-Saint-Hilaire et de M. Michaut. « La hiérarchie la plus claire qu’on ait jamais donnée » ne traduit pas : ὡς ἄν τις κοινὀτερον τἁ τοιαὒτα συγκρίνειε.

    En dehors de cette pensée, et sans compter un passage où j’ai cru pouvoir le rétablir par conjecture (cf. infra VIII, 41), κοινὀτερον est encore employé deux fois par Marc-Aurèle, les deux fois (IV, 20 ; VI, 45) au sens que M. Couat lui attribue ici ; la traduction même de M. Michaut en peut faire foi. Ce n’est nullement une expression dédaigneuse. C’est l’adjectif ἱδιωτικὁν qui, dans les Pensées, oppose une opinion vulgaire à une opinion philosophique (IV, 3, 36) ; encore vulgaire ne signifie-t-il pas : inutile (IV, 50), et ne signifie-t-il même pas toujours : sot (IX, 3). Sans doute, cette modération de langage, ou, plus précisément, cette atténuation d’une expression injurieuse, n’est pas habituelle au Stoïcisme ; sans doute c’est une marque de la bienveillance de Marc-Aurèle pour le genre humain : et l’on pourrait croire que, comme