Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

suivant la liberté[1] et la justice ; débarrasse-toi de toute autre représentation[2]. Tu y réussiras si tu accomplis chacune de tes actions comme la dernière de ta vie, te délivrant ainsi de toute légèreté, de toute répugnance passionnelle[3] pour les commandements de la raison ; tu seras libre d’hypocrisie, de l’amour-propre, de la mauvaise humeur vis-à-vis de la destinée. Tu vois le peu d’obstacles qu’il suffit de vaincre pour vivre une vie au cours régulier et pareille à celle des Dieux ; les Dieux, en effet, ne demanderont pas autre chose à celui qui observera ces règles.

6

Tu t’es outragée[4], tu t’es outragée toi-même, ô mon âme, mais tu n’auras plus l’occasion de t’honorer toi-même, car notre vie à tous est courte. La tienne est presque achevée sans que tu te sois respectée, parce que tu as mis ton bonheur dans les âmes des autres[5].

7

Tu es distrait par les incidents extérieurs[6] ; donne-toi le loisir de toujours ajouter quelque chose à ta connaissance du

  1. [Par liberté entendre, suivant l’usage ordinaire de Marc-Aurèle et les indications de la phrase suivante, la raison affranchie des passions.]
  2. [Couat : « idée. »]
  3. [Couat : « instinctive. » Le mot contesté, ἐμπαθὴς, est un dérivé de πάθος, et πάθος était précisément défini par Zénon ὁρμὴ… ἀπειθὴς τῷ αἱροῦντι λόγῳ (Stobée, II, 166). On retrouve dans cette définition les termes mêmes de la pensée II, 5 de Marc-Aurèle. La différence qu’établissent les stoïciens entre l’instinct et la passion est capitale. Cf. infra III, 16, 3me note.]
  4. J’ai adopté la leçon : ὕϐριζες, au lieu de : ὕϐριζε, le texte étant manifestement altéré ; il y a opposition entre les deux parties de la phrase, et l’impératif préféré par M. Pierron n’a guère de sens. Je ne suis d’ailleurs pas satisfait de cette leçon, l’imparfait me paraissant ici peu à sa place. Faut-il lire : ὕϐρισας ? (Voir infra, II, 16, une pensée commençant par : ὑϐρίζει ἑαυτὴν ἡ ψυχή.) — [Var. : « avilie. »]
  5. C’est ici l’Empereur qui parle ; exhortation à remplir son devoir, avec un accent profondément pénétré, sans autre considération que le souci d’être pur. Culte de l’âme individuelle considérée comme une parcelle de la divinité.
  6. [Var : « Que les incidents extérieurs ne te distraient pas. » — Cette variante, ou plutôt cette correction (car l’autre texte est raturé), est défendue, dans le manuscrit d’Aug. Couat, par la note suivante : « περισπᾷ τί σε. Telle est la leçon de tous les manuscrits. Elle est possible. Ce qui m’a déterminé à préférer l’impératif : μὴ περισπάτω σε, déjà proposé par Gataker, c’est le καὶ qui suit, donné dans A, et les impératifs de la seconde proposition. Le sens est beaucoup plus net et les deux phrases se tiennent mieux. » — C’est précisément le καὶ donné dans A qui me semblerait condamner la conjecture de Gataker : après μὴ, on attend non pas καὶ, mais ἀλλὰ. Dans D, la copule manque. C’est le texte de D qu’avait d’abord traduit Aug. Couat, et que, malgré ses scrupules, j’ai préféré.]