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puisse vivre par elle-même en agissant selon la justice, en voulant les événements qui lui arrivent, en disant la vérité ; écarte, dis-je, de ce principe qui te dirige les passions qui lui viennent de certains attachements, et l’idée du temps futur ou le souvenir du passé ; rends-toi pareil à la sphère d’Empédocle, « sphère parfaitement ronde, heureuse et fière de sa stabilité ; » ne te soucie de vivre que l’instant où tu vis, c’est-à-dire l’instant présent, et tu pourras passer tout le temps qui te reste jusqu’à la mort noblement, dans la paix morale, en souriant à ton génie.

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Je me suis souvent demandé avec étonnement pourquoi chacun de nous s’aime plus que tous les autres et attache cependant moins de prix à son propre jugement sur soi-même qu’à celui des autres. Il est certain que si un Dieu ou un maître sage venait nous ordonner de ne jamais rien concevoir ni rien penser en nous-mêmes, sans aussitôt l’exprimer au dehors, le crier même, nous ne le supporterions pas un seul


i. [Cf. passim, et notamment XII, i.]

2. [Couat: « cette conscience que tu sens en toi. » — J’ai rétabli ici la traduction qui a été presque partout admise d’r,ye|iovixôv. Nous ne pouvons plus être surpris par les mots « principe dirigeant ». La première phrase de la pensée établit nettement que ce principe n’est autre que la raison.]

3. [Couat: « les passions qui s’attachent à lui. » — Un signe marginal condamne, d’ailleurs, cette traduction, qui n’exprime guère que la moitié du texte grec: Tà npoar,pTr,|iéva ex npoiraaOeia;. J’ai dû désespérer, à mon tour, de le traduire succinctement et avec fidélité. Dans npoanàOeia, il était nécessaire de tenir compte du préfixe. Ce mot ne désigne pas ici une passion quelconque, c’est-à-dire un mouvement de l’âme immodéré ou déraisonnable (supra III, 16, 3" note), mais une indination déraisonnable pour certaine chose. Quand notre corps est l’objet de cette inclination, la solidarité qu’elle établit entre l’âme et le corps, et qui n’est que l’asservissement de l’âme à ce dernier, peut s’appeler .ru|ini0sia (VII, GG, note finale, rectifiée aux Addenda). A la dernière phrase de l’article V, i, on a rencontré le verbe npoanaOeîv: l’objet du penchant qu’il désigne est une chose extérieure. Or, de tels mouvements du principe directeur peuvent engendrer en nous des passions «adventices» (npoor)pTr,|iéva): la haine pour qui nous empêche de les satisfaire, la colère, enfin l’impiété (supra IX, i). C’est de ces tares ou de ces servitudes morales qu’il est question ici.]

4. [Couat: « tranquillement, noblement. » — Pour préciser le sens d’àTapàxTw; (cf. supra IX, 3i, i" note), j’ai dû intervertir, en traduisant, l’ordre des mots du texte grec.]

5. [Couat : « de ne jamais rien penser en nous-mêmes sans l’exprimer au dehors aussitôt après l’avoir conçu.»—Ces deux variantes Iraduisent respectivement la conjecture de Reiske et de Nauck, veywviaiiwv, et le texte de la vulgate, yivwcxuiv, qui n’est, d’ailleurs, pas celui de nos manuscrits. Voir, sur l’ensemble du passage, l’apparat critique de M. Stich, dont la restitution me paraît presque assurée.]