les feuilles, les unes sont jetées à terre par le vent… : ainsi la race humaine[1]. » Ce sont, en effet, des feuilles que tes enfants ; feuilles aussi, tous ceux qui t’acclament et te louent avec conviction, ou bien, au contraire, te maudissent ou te blâment et te raillent secrètement ; feuilles, enfin, ceux qui, après ta mort, se transmettront ta mémoire. Tout cela « naît au printemps »[2] ; puis le vent le fait tomber, et la forêt produit d’autres feuilles à la place des anciennes. La brièveté est le sort commun à tout, et pourtant tu recherches ou tu fuis les choses de la vie, comme si elles devaient être éternelles. Dans peu de temps, tu fermeras toi-même les yeux ; et bientôt un autre pleurera celui qui t’aura conduit au tombeau.
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Un œil sain doit voir tout ce qui est visible et ne pas dire : « Je voudrais voir du vert. » Ceci convient, en effet, aux yeux malades. Une ouïe ou un odorat sain doit être capable d’entendre ou de sentir tout ce qui peut être entendu ou senti. Un estomac sain doit être prêt à accepter toute espèce de nourriture, comme une meule tous les objets qu’elle est destinée à moudre. De même, une intelligence saine doit être préparée à tous les événements. Celle qui dit : « Que mes enfants soient sauvés, » ou : « Que tout le monde me loue, quoi que je fasse, » est l’œil qui demande du vert, ou la dent qui réclame des aliments tendres.
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Personne n’est assez fortuné pour qu’à sa mort aucun des assistants ne se réjouisse de son malheur. S’agit-il d’un homme vertueux et sage ? Il se trouvera bien quelqu’un au dernier moment pour se dire à soi-même : « Nous allons enfin respirer, délivrés de ce pédagogue. Sans doute, il n’était méchant pour aucun de nous, mais je sentais que dans son for intérieur il nous condamnait. » Voilà donc ce que l’on dira de l’homme vertueux. Mais nous, pour combien d’autres raisons