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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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C’est peu de chose que le temps qui te reste à vivre. Vis comme si tu étais sur une montagne[1]. Il importe peu, en effet, que l’on vive ici ou là, pourvu que l’on soit partout dans le monde[2] comme dans une cité. Que les hommes voient et reconnaissent en toi un homme véritable, vivant conformément à la nature. S’ils ne peuvent le supporter, qu’ils te tuent. Cela vaut mieux que de vivre comme eux.

16

Ne discute[3] pas sur ce que doit être un honnête homme ; sois-le.

17

Figure-toi sans cesse la durée totale et la matière totale[4] ; chaque partie n’est, par rapport à la matière[5], qu’un grain de figue[6] et, par rapport au temps, qu’un tour de vrille.

18

En examinant avec soin chaque objet, dis-toi qu’il est en train de se dissoudre, de se transformer, de se décomposer [en quelque sorte] et de se disperser ; enfin, songe que chaque chose meurt, [si je puis ainsi dire,] par le fait qu’elle est née.

19

Vois ce qu’ils sont, d’une part, quand ils mangent, dorment, s’accouplent, vont à la selle, etc. ; puis, au contraire, quand ils font les hommes[7], se pavanent, s’irritent, blâment sans mesure. Il n’y a qu’un moment, de combien de besoins ils

  1. [Cf. supra VIII, 45 ; infra X, 23.]
  2. [ἐάν τις πανταχοῦ ὡς ἐν πόλει τῷ κόσμῳ. N’est-il pas nécessaire d’écrire un second ἐν devant τῷ κόσμῳ ?]
  3. [Le mot ὅλως du texte grec est rendu par le tour plus net et l’accent plus impérieux de la phrase française. Traduction littérale : « Il ne s’agit pas du tout de discuter…, mais de l’être. »]
  4. [Couat : « la durée éternelle et la matière infinie. » — Mais, pour les Stoïciens, le monde est fini. Le contresens, qu’eût évité une traduction littérale, vient de Pierron.]
  5. [Couat : « substance. »]
  6. [Cf. supra X, 8, note finale.]
  7. [Le participe ἀνδρονομοῦμενοι que présentent ici les manuscrits ne se retrouve pas ailleurs. L’étymologie ne permet guère, à vrai dire, d’en tirer le sens qu’exige le contexte, et M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, p. 154) a peut-être raison d’appeler ce mot vox nihili. En tout cas, la correction qu’il propose, ἀνδρογυνούμενοι,