Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

a habité avec moi pendant ses dernières années. Toutes les fois que j’ai voulu venir en aide à un pauvre ou à un homme ayant quelque besoin, jamais je n’ai entendu objecter que je n’avais pas d’argent pour le secourir. Je n’ai jamais eu moi-même besoin de recourir à un autre pour le même objet. Je dois aussi aux Dieux d’avoir eu une femme si douce, si tendre, si simple ; d’avoir trouvé facilement pour mes enfants les meilleurs des maîtres. Des songes m’ont, comme un oracle[1], révélé des remèdes contre mes indispositions et particulièrement contre les crachements de sang et les vertiges, et cela à Gaète. Quand j’ai été séduit par la philosophie, je ne suis pas tombé dans les mains d’un sophiste, je ne me suis pas appesanti à déchiffrer les écrivains, à décomposer des syllogismes, à étudier les phénomènes célestes[2]. Je n’aurais jamais eu tant de bonheurs sans l’assistance des Dieux et de la Bonne-Fortune[3].

Écrit chez les Quades, sur les bords du Granua.

Livre II

1

Se dire à soi-même, dès le matin[4] : je vais me rencontrer avec un fâcheux, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste. Ils ont tous ces vices par suite de leur

  1. [M. Couat a adopté ici le texte de l’édition de Lyon (1626) : ὥσπερ χρησμόν. Le texte des manuscrits : ὥσπερ χρήση, oblige (en modifiant d’ailleurs l’orthographe du mot : Χρήσῃ) à supposer l’existence d’une ville ou d’un bourg inconnu : Chrèse. Si on l’adopte, on devra supprimer dans cette traduction les mots : « comme un oracle », et, après : « à Gaète », ajouter : « comme à Chrèse. » — Une autre conjecture est celle de Saumaise, adoptée par Stich : ὡς περιχρῖσαι. Traduction : « Des songes m’ont révélé le remède… et cela à Gaète : j’ai eu dès lors recours aux onguents. » — Outre ces diverses corrections au texte de cette phrase, il en est une que les principaux éditeurs et traducteurs de Marc-Aurèle ont jugée indispensable, celle de καὶ τούτου en καὶ τοῦτο.]
  2. [Cette étude était pourtant en honneur dans la secte stoïcienne (cf. Zeller, die Phil. der Gr., III3, p. 191). Marc-Aurèle, qui croyait aux songes, et sans doute aussi aux oracles (cf. la note précédente — et la dernière phrase de la pensée IX, 27), se désintéressait ou se défiait-il de la « divination » ?]
  3. Cf. infra la dernière note à la pensée II, 3.
  4. L’examen de conscience dans Marc-Aurèle. C’est le matin, en se levant, qu’il examine les actes qu’il aura à accomplir dans la journée, et qu’il prend des résolutions morales.