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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

tout temps [dans la même trame] ce que tu devais être et cette chose qui devait t’arriver[1].

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Qu’il n’y ait que des atomes ou une nature[2], ceci doit être établi d’abord : je suis une partie du tout que gouverne la nature, et ensuite je suis lié par un rapport[3] de parenté avec les parties de même espèce que moi. Me rappelant, en effet, que je ne suis qu’une partie, je ne verrai d’un mauvais œil rien de ce qui m’est attribué par le tout, car rien de ce qui est utile au tout ne peut être nuisible à la partie. Le tout ne contient rien qui ne lui soit utile ; c’est là une propriété commune à toutes les natures, et celle de l’univers s’est arrangée, en outre, de manière à n’être forcée par aucune cause extérieure[4] à engendrer quelque chose qui lui fût nuisible. Me rappelant donc que je suis une partie d’un tel tout, je ferai bon visage à tout ce qui m’arrivera. En raison de ce que je suis lié par un rapport de parenté avec les parties de même espèce que moi, je ne ferai rien de contraire aux lois de la solidarité ; bien plus, je m’attacherai à ce qui est de même espèce que moi, je dirigerai tous mes efforts vers le bien commun et je les détournerai de ce qui lui est hostile. Ces choses ainsi faites, la vie

  1. [Cf. supra IV, 26.]
  2. [Couat : « s’il n’y a pas seulement des atomes, mais une nature unique. » — M. Couat a dû être choqué de la contradiction des deux premiers mots de la pensée : εἴτε ἄτομοι — avec l’affirmation qui les suit : ὑπὸ φύσεως διοικουμένου. Marc-Aurèle ne disait-il pas un peu plus haut (IX, 39) : « ou il n’y a que des atomes, et tout n’est que désordre et dispersion » ? — J’ai d’ailleurs cherché en vain la correction qu’avait du faire M. Couat, et d’où il a pu tirer sa traduction. — Pour ma part, je ne vois que deux solutions de la difficulté : ou bien rejeter εἴτε ἄτομοι comme une glose absurde, qu’auraient appelée les premiers mots de la pensée, εἴτε φύσις ; ou bien conserver résolument le texte et la contradiction qu’il implique, et dire que Marc-Aurèle n’est pas un physicien, que la morale seule l’intéresse, qu’il affirme d’abord son dogme, et qu’ensuite il choisira, s’il y a lieu, entre les deux physiques, celle qui lui paraîtra le mieux s’accorder avec ce dogme. Nous le verrons, au cours de la pensée suivante, également indifférent, ou feignant de l’être, entre les doctrines de la nature, se donner à la fois trois explications de la « mort » des choses, et ne tenir à chacune qu’autant qu’il y peut trouver une assurance, toujours la même, contre les terreurs de la mort, c’est-à-dire qu’autant qu’il y aperçoit une utilité morale.]
  3. [Couat : « par une sorte de parenté. » — De même dix lignes plus bas. Sur la valeur de πως dans la locution ἔχειν πως… πρός τι, cf. supra, pp. 84, note 1, et 85, note 1.]
  4. [Il n’y a pas de « cause extérieure » à la nature, puisqu’elle est la cause unique, ou mieux l’unique principe efficient. Ici, αἰτία doit être traduit par « cause », au sens le plus usuel du mot. — Cf. supra IX, 31, note 2.]