31
Ne te laisse jamais troubler[1] par les événements qui proviennent de la cause extérieure[2] ; observe la justice dans toutes les actions dont la cause[3] est en toi ; je veux dire[4] que le but de toutes tes tendances et de toutes tes actions doit être précisément d’agir pour la cité, parce que cela est conforme à ta nature.
- ↑ [ἀταραξία entraîne l’ἀνάθεια : pas de trouble, pas de passions, — et l’absence de passions, c’est la vertu. — Voir la même recommandation au début de la pensée VIII, 5.]
- ↑ [Couat : « d’une cause extérieure. » — L’article est exprimé en grec ; cette « cause extérieure », c’est la cause universelle, opposée à notre principe efficient ou à notre activité propre, que Marc-Aurèle désigne ici du même nom d’αἰτία (cf. supra V, 23, note 2). L’antithèse de la « cause extérieure » et de la « cause interne » peut aider à relier les divers sens de ce mot. Sauf les cas où il signifie « motif » ou « raison d’agir », nous ne voyons pas que Marc-Aurèle l’ait jamais distingué d’αἴτιον, bien que Chrysippe (dans Stobée, Ecl., I, 338) ait opposé les deux termes en faisant exprimer au premier « la raison qui est dans le second » : αἰτίαν δ΄ εἶναι λόγον αἰτίου, ἢ λόγον περὶ τοῦ αἰτίου ὡς αἰτίου. Nous pouvons donc d’abord définir αἰτία comme tous les Stoïciens ont fait αἴτιον. Zénon, Chrysippe, Posidonius (dans Stobée, ibid.) voient dans la « cause » le pourquoi des choses, ou plutôt le « par quoi », τὸ δι΄ ὄ. L’antécédent invariable peut ainsi porter le nom d’αἴτιον ; mais les exemples que donnent les maîtres du Stoïcisme de la relation de causalité sont moins ceux d’un antécédent et de son conséquent que ceux d’un sujet, ou, comme ils disent, d’un corps (σῶμα), et de son verbe (κατηγόρημα : sur le sens du mot, cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 89, note 2), c’est-à-dire d’une action ; puis d’une qualité du sujet, c’est-à-dire encore d’un corps (supra IX, 25, 1re note), et de l’action qui la manifeste. Ainsi, dit Zénon (dans Stobée, l. l., p. 336), « la sagesse est cause de l’action d’être sage. » On voit comment l’âme a pu être désignée du nom d’αἰτία : elle est, en effet, le principe efficient et formel de l’individu humain, elle est « cause » qu’il est ; et elle est, en outre, la « cause » de ses actions. Nous avons vu dans une note antérieure (IX, 25) comment les Stoïciens avaient été conduits à reconnaître aussi un « principe efficient et formel » dans les choses inertes.
Ainsi, la « cause » qui intéresse surtout les Stoïciens est la cause interne, dans laquelle ils ont, comme on l’a vu, intégré la forme (IV, 21, note finale). Leur système panthéiste leur a même permis de ramener toutes les causes externes à une seule cause interne totale (supra VII, 10), celle qu’ils appellent ici la « cause extérieure », sans qu’ils perdissent jamais pourtant, chaque fois qu’ils écrivaient le mot αἴτιον, la notion très nette de l’opposition de deux termes, aussi distincts que peut l’être pour nous une cause de son effet. Nous avons vu encore (IX, 25, 1re note) comment le concept de l’αἴτιον avait pu d’abord par là se différencier pour eux de celui de la ποιότης.
Le terme opposé à la cause, ou « l’effet », s’appelait dans l’École, nous dit Stobée, ἀποτέλεσμα ou συμϐεϐηκός. Quand l’effet est rapporté à la cause universelle, on l’appelle plutôt συμϐαῖνον : ce mot peut ainsi désigner les « circonstances extérieures », qui sont la « matière » de notre action, et servir d’antithèse au mot ἐνέργεια (cf. supra, page 161, note 3).
Tandis qu’αἴτιον et αἰτία dans les Pensées désignent indifféremment le « principe efficient interne » et la cause extérieure, le mot αἰτιῶδες n’y est employé que dans le premier sens, et toujours en opposition avec le nom du principe matériel.]
- ↑ [Le sens que nous sommes ici contraint de donner à παρὰ (ἐν τοῖς παρὰ τὴν ἐκ σοῦ αἰτίαν ἐνεργουμένοις) est tout à fait insolite. Faut-il lire διά ? ou remplacer τὴν… αἰτίαν par τῆς… αἰτίας ?]
- ↑ [Couat : « je veux dire que tes désirs et ton activité doivent tendre au bien commun, conformément à ta nature. »]