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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

à l’infini[1]. Contemple ces marées [des changements et] des métamorphoses[2] et leur marche rapide ; tu mépriseras alors tout ce qui est mortel[3].

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La cause universelle est comme un torrent ; elle emporte tout. Qu’ils sont simples, ces pauvres hommes d’État, qui s’imaginent agir en philosophes[4] ! Les morveux[5] ! Fais donc,

    ἢ ἀμερῆ, il se refuse à voir une glose dans les mots ἢ ἀμερῆ, parce qu’ἄτομοι n’a pas besoin d’explication, et qu’il est d’ailleurs plus usuel et plus clair qu’ἀμερῆ. Finalement, il corrige ce dernier mot en εἰμαρμένη. Ainsi restauré par lui, le passage peut avoir le sens suivant : « et cette impulsion unique, elle (l’intelligence universelle) la développe dans tous les événements ultérieurs, qui en sont la conséquence : le monde, en effet, ne peut qu’être composé d’atomes ou régi par une destinée. » On peut objecter à cette lecture, d’abord que le verbe κατεκτείνει, si régulièrement formé qu’il soit, si admissible même dans la langue d’un auteur qui semble affectionner les verbes composés de deux prépositions, n’existe pas ailleurs : M. Rendall lui-même l’a reconnu ; ensuite, que Marc-Aurèle, à l’ordinaire, oppose par les deux mots ἤτοι… ἢ… (VII, 75 ; VII, 32 ; XII, 14, et ici même, dans la première partie de la pensée), plutôt que par un simple (cf. pourtant VII, 50) deux alternatives qui s’excluent ; ensuite, que τρόπον… τινὰ, les corrections faites, n’a plus de sens ; enfin, que le mot εἰμαρμένη n’exprime que la seconde des deux hypothèses stoïciennes exposées ici par Marc-Aurèle. — Ces deux dernières objections s’adressent aussi à la conjecture de M. Couat, qui a dû corriger ἀμερῆ en ἀμερές. Comment, d’ailleurs, ce mot pourrait-il désigner le monde ? Il contredit tous les textes qui nous définissent comme des « parties » ou des « membres » du tout. J’ajoute enfin qu’il me paraît impossible de donner un sens à τὶ ἐν τινί.

    Ces mots avaient été ingénieusement corrigés par Coraï en καὶ τί ἐντείνῃ. La même correction, proposée par le même savant, a paru évidente à M. Stich au cours de la pensée X, 31, et M. Polak se demande, non sans raison, pourquoi elle lui a semblé inadmissible ici (Hermès, XXI, p. 332). Je l’ai reprise et traduite. J’ai supposé ensuite la chute de toute une ligne, où devait être exprimée une troisième hypothèse, déjà envisagée par Marc-Aurèle dans une pensée analogue (supra VI, 44 : « ou bien il y a des dieux, mais ils ne délibèrent sur rien »), et qui devait se terminer par les mots : οὗτοι δὲ τί εἰσιν ἐν τίνι ; ou simplement : οὗτοι δὲ τί ἐν τίνι ; — c’est-à-dire par cette idée : « Mais alors, qu’est-ce que le monde et qu’est-ce qu’ils y font ? » La phrase qui suit, où j’ai pu traduire τρόπον τινά, se rattache logiquement à celle-ci. On comprend, d’ailleurs, comment une ligne a pu disparaître entre deux groupes de sons identiques : τί ἐντείνῃ et τί ἐν τίνι. Ce genre de fautes est assez commun.

    Pour la doctrine, comparer surtout les pensées XII, 14, et VII, 75 ; voir la note à cette dernière et la rectification aux Addenda.]

  1. [Comme l’a reconnu Marc-Aurèle lui-même à la fin de la pensée V, 13, l’idée de ces transformations à l’infini n’est nullement contradictoire avec celle des révolutions périodiques auxquelles il faisait (voir la première note) tout à l’heure allusion.]
  2. [Cf. supra IX, 19, en note, et IV, 3, note finale.]
  3. [Ici s’arrête le second manuscrit de M. Couat.]
  4. [Couat : « Combien vulgaires sont toutes ces questions politiques, et pour qui pense en philosophe, toutes ces affaires humaines ! » — M. Couat a dû lire : ὡς οἲεταί τις φιλοσόφως, ἀνθρώπεια πράγματα. La correction ne s’imposait pas.]
  5. [Couat : « quelle sécrétion parasitaire ! » — J’ai préféré le sens de Pierron et de M. Michaut, celui aussi de Renan, qui développe en une phrase le μηξῶν μεστά : « ce sont des bambins dont on débarbouille le nez avec un mouchoir » (Marc-Aurèle et la fin du monde antique6, p. 52).