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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

[et d’autres morts partielles], demande-toi : y avait-il là rien de terrible ? Il n’y a donc rien non plus de terrible[1] dans un arrêt, dans un repos, dans un changement de la vie tout entière.

22

Considère sans tarder ton propre principe dirigeant[2], celui de l’univers et celui de cet homme : le tien, pour t’en faire une raison pénétrée de justice[3] ; celui de l’univers, afin de te rappeler de quel tout tu fais partie[4] ; celui de cet homme, afin que tu sache s’il agit par ignorance ou avec réflexion, et que tu réfléchisses en même temps à la parenté qui vous unit.

23

Comme tu es toi-même né pour contribuer à parfaire l’organisme social, ainsi, que chacune de tes actions contribue à parfaire[5] la vie de la société. Toute action qui ne se rapporte[6]

  1. [Marc-Aurèle ne compte ici pour rien la personne. Cf. supra, les dernières lignes du livre II ; infra, la note finale à la pensée X, 7.]
  2. [Couat : « ta conscience, celle de l’univers… »]
  3. [Couat : « la tienne (= ta conscience), pour qu’elle guide ton intelligence d’après la justice. » Var. : « afin de lui inspirer la justice. » — Cette seconde traduction s’accompagne de la note suivante :

    « ἴνα νοῦν δικανικὸν αὐτὸ (ou αὐτῷ) ποιήσῃς est la leçon des manuscrits. Le sens général en est assez clair, à condition toutefois de changer δικανικόν, qui est absurde ici, en δικαϊκόν : ce dernier mot, synonyme de δίκαιον, se rencontre une fois dans les Pensées (V, 34). Mais cette correction, qui s’impose, ne paraît pas encore suffisante. Il doit y avoir une autre tache dans le texte. Gataker a écrit ποιήσῃ, qui ne rend pas l’explication plus facile. L’altération doit être dans le mot νοῦν, qui ne se comprend pas ici ; la conjecture γοῦν, proposée par Coraï, est la meilleure. »

    La conjecture de M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, p. 149), νῦν, que M. Couat n’a pu connaître, vaut celle de Coraï, — et ne s’impose pas davantage. Νῦν et γοῦν ont ici l’air de chevilles. À tout prendre, peut-être autant vaut-il garder la leçon traditionnelle. L’identité du sens des mots ἡγεμονικὸν et νους pour les Stoïciens est attestée par une foule de textes. Elle ressort en particulier de la seule comparaison de ces deux énumérations : σαρκία, πνευμάτιον, ἡγεμονικόν (supra II, 2), — et σωμάτιον, πνευμάτιον, νοῦς (infra XII, 3). Des expressions composées réunissent assez souvent dans les Pensées les deux mots ἡγεμονικὸν et νοῦς, ou un synonyme de l’un avec un dérivé de l’autre : διάνοια κυϐερνῶσα (VII, 64) ; λογικὸν ἡγεμονικόν (VII, 28) ; νοῦς ἡγέμων (III, 16) ; νοῦς ἡγεμονικός (XII, 14). Dans la phrase ἴνα νοῦν δικαϊκὸν αὐτὸ ποιήσης, où αὐτὸ représente le principe dirigeant (ἡγεμονικόν), νοῦν n’est donc pas illogique ; mais il est parfaitement inutile, bien que certains exemples atténuent la singularité de ce pléonasme. C’est plutôt αὐτὸ que je serais tenté de corriger, et d’autant plus que ce mot n’est pas sûr. Les meilleurs manuscrits donnent αὐτῷ, au datif. Si l’on veut lire σεαυτῷ, il me semble que toutes les obscurités sont dissipées.]

  4. ἄγνοια ἢ γνώμη. Ces deux substantifs restant au nominatif sont le sujet d’un verbe qu’il n’est pas aisé de suggérer. Au contraire, s’ils sont au datif (ἀγνοίᾳ ἢ γνώμῃ), ils deviennent le complément indirect d’un verbe tel que ἀμαρτάνει, si fréquent dans Marc-Aurèle. [La seconde orthographe est celle de Gataker.]
  5. [Sur le sens de συμπληρωτικός, cf. supra IV, 2, en note.]
  6. [Sur le sens d’ἀναφορά, cf. supra III, 11, 5e note ; VII, 4, 2e note.]