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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

toutes les choses terrestres[1] ; une seule lumière nous éclaire et nous respirons le même air, nous tous qui vivons et qui y voyons.

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Tout ce qui participe à une nature[2] commune est attiré vers son semblable. Ce qui est de nature terrestre rampe vers la terre, ce qui est humide coule vers ce qui est humide ; pareillement, ce qui est aérien. C’est à ce point qu’il faut des obstacles pour en maintenir de force la séparation. Le feu s’élève dans l’air, attiré par le feu élément[3], et il conserve sur la terre une telle aptitude à confondre sa flamme avec celle d’un autre feu que toute matière tant soit peu sèche s’enflamme aisément, et d’autant mieux qu’elle est moins mêlée d’éléments qui s’opposent à l’incandescence. Par conséquent, tout ce qui participe à une [commune] nature intelligente est aussi attiré vers son semblable, et l’est même davantage. Car plus l’intelligence l’emporte sur tout le reste, plus elle est disposée à se mêler et à se confondre avec ce qui est de même origine qu’elle. Voilà pourquoi l’on remarque déjà chez des animaux, privés de raison des essaims, des troupeaux, une éducation des petits et des espèces d’amours[4] ; c’est que déjà il y avait en eux des âmes ; c’est qu’on peut découvrir en ces êtres plus avancés un instinct qui travaillait à les réunir et qui n’existait pas encore[5] dans la plante, la pierre, ni le

  1. [Voir la pensée suivante.]
  2. [Var. : « Tout ce qui provient d’une origine commune. » — Cf. supra IV, 4, et la seconde note.]
  3. [Marc-Aurèle, comme on l’a vu (VI, 17, en note rectifiée aux Addenda), distingue le « feu élément » du feu « artiste » ou éther, qui l’entoure et l’emporte dans son mouvement. Le feu terrestre ne se distingue du feu élément que par sa direction.]
  4. [J’ai cité en note à la pensée IV, 22, un texte de Chrysippe qui refusait aux animaux toute « passion », parce que la passion est toujours l’œuvre d’un principe dirigeant. Marc-Aurèle, qui a admis cette doctrine (XI, 20 ; cf. la fin de la 1re note à la pensée III, 16, reportée en Appendice), devait considérer l’amour soit comme le mouvement normal d’une âme raisonnable (supra III, 16, 3e note), soit comme une « passion ». Les animaux ont, d’ailleurs, des instincts qui peuvent — de loin — rappeler les nôtres. Cf. Sénèque (De Ira, I, 3) : « Muta animalia humanis affectibus carent ; habent autem similes illis quosdam impulsus. Alioqui, si amor esset, et odium esset, etc. » Pierron, qui cite ce passage, observe très justement qu’« il n’y a qu’un pas de la théorie des Stoïciens à celle de Descartes sur l’organisation des animaux ».]
  5. [Var. : « c’est que déjà il y avait en eux des âmes et une force qui travaillait à réunir les êtres en ce qu’ils ont de meilleur, telle qu’elle n’existe pas dans la