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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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Celui qui ne sait pas ce qu’est l’univers ne sait pas où il est. Celui qui ne sait pas pour quelle fin[1] existe l’univers ne sait ni qui il est ni ce qu’est l’univers[2]. Celui qui a négligé de s’enquérir d’une de ces choses ne pourrait même pas[3] dire pour quelle fin il existe lui-même. Que penses-tu donc de celui qui fuit [les reproches et les injures] ou recherche[4] [les éloges et] les applaudissements d’hommes qui ne savent ni où ils sont ni ce qu’ils sont ?

53

Tu veux être loué par un homme, qui se maudit lui-même trois fois dans une heure ? tu veux plaire à un homme, qui ne se plaît pas à lui-même ? Peut-il, en effet, se plaire à lui-même, celui qui se repent de presque tout ce qu’il fait ?

54

Il ne faut pas seulement s’unir par le souffle à l’air qui nous enveloppe, mais aussi par la pensée à l’intelligence qui embrasse tout ! La force intelligente n’est pas moins répandue

  1. πρὸς ὅ τι πέφυκεν ; de même un peu plus bas. Si l’on maintient ces deux membres de phrase, il y a dans le raisonnement une tautologie. Mais le pronom αὐτός, qui se trouve seulement dans le second membre de phrase, indique que dans le premier le verbe πέφυκεν doit avoir un autre sujet. J’écrirais donc la première fois πρὸς ὅ τι πέφυκεν ὁ κόσμος. Le raisonnement de Marc-Aurèle est le suivant : La connaissance de l’univers est la condition de la connaissance de nous-mêmes. La plupart des hommes n’ont pas cette connaissance.
  2. [Et par conséquent : ni qui il est, ni où il est, — comme il va être dit à la dernière phrase.]
  3. [Il est nécessaire de restituer, dans le texte grec, la particule ἂν devant le verbe εἴποι.]
  4. φεύγων ἤδιον n’a aucun sens. La correction qui se présente immédiatement à l’esprit est φεύγων ἢ διώκων. Cette correction est la meilleure de toutes. Marc-Aurèle déclare ici, comme il l’a fait ailleurs (XI, 11), que le sage ne doit s’occuper de la louange des hommes, ni pour la rechercher ni pour la fuir. — [À la pensée XI, 11, il n’est nullement question de la louange des hommes. Ici, on ne comprendrait pas que Marc-Aurèle nous blâmât de la fuir. J’admets, d’ailleurs, la correction de ἤδιον en ἢ διώκων : elle ne suffit pas ; il faut trouver un régime à φεύγων et construire la phrase de telle sorte que τὸν ἔπαινον se rattache naturellement à διώκων et à διώκων seul. Gataker avait senti cette nécessité. Il avait voulu lire : ὁ τῶν κροτούντων ἢ ψόγον φεύγων ἢ ἔπαινων διώκων. Sa correction, qui ne se borne pas à compléter le texte, mais bouleverse l’ordre des mots et en fausse le sens (τῶν κροτούντων ne peut désigner ceux qui blâment), est malheureusement arbitraire. J’ai supposé la chute d’une ligne entre deux mots identiques et restitué : ὁ [τὸν τῶν καταϐοώντων ψόγον ἢ] τὸν τῶν κροτούντων ἔπαινον φεύγων ἢ διώκων. Les mots que j’ai imprimés ci-dessus en italiques correspondent à ceux que je suppose disparus du texte grec.]