Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


175
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

44

Vois à ne t’accorder à toi même que le présent. Ceux qui préfèrent la gloire [posthume] ne s’avisent pas que les hommes à venir seront pareils à ceux d’aujourd’hui, qu’ils ont de la peine à supporter ; ceux-là aussi seront mortels. Que t’importent donc en définitive les échos de leur voix ou l’opinion qu’ils peuvent avoir de toi ?

45

Prends-moi, jette-moi où tu voudras ! Là aussi mon génie conservera sa sérénité ; je veux dire qu’il se contentera d’être et d’agir d’accord avec la loi de sa propre constitution[1].

45 bis[2]

Ceci vaut-il donc la peine que mon âme soit en mauvais état, inférieure à elle-même, rapetissée, troublée, pleine de désirs et de craintes[3] ? Trouveras-tu même quelque chose qui vaille ce prix ?

46

À aucun homme il ne peut rien arriver qui ne soit un événement humain ; ni à un bœuf rien qui ne soit fait pour un bœuf ; ni à une vigne rien qui ne soit propre à une vigne ; ni à une pierre rien qui ne soit fait pour une pierre. Si donc il n’arrive à tout être que des événements habituels et naturels, pourquoi t’indigner ? Car la nature universelle ne te destinait rien d’insupportable[4].

47

Quand tu es affligé par une chose extérieure à toi, ce n’est pas cette chose qui le pèse, mais ton jugement sur elle. Or,

  1. [Couat : « d’accord avec sa propre nature. » — Cf. supra IV, à, et la note, et VI, 44, note finale.]
  2. Dans le manuscrit A, les deux paragraphes forment deux pensées détachées. Elles ne me paraissent, en effet, avoir aucun rapport.
  3. On a hésité sur le sens des deux participes συνδυομένη, et ὀρεγομένη. Le premier n’est pas grec, et c’est avec raison que Gataker a proposé συγχεομένη, expression fréquente dans Marc-Aurèle. Le sens de ὀρεγομένη est clair ; il s’oppose à πτυρομένη. On sait l’importance que les Stoïciens donnaient dans leur morale au désir et à la peur.
  4. [Couat : « N’est-il pas vrai que la nature universelle ne t’a rien infligé d’insupportable ? » — Marc-Aurèle lui-même a défini à la pensée V, 8, l’imparfait ἕφερε.]