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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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La nature universelle[1] a donné à chaque être doué de raison ses diverses facultés ; entre autres, nous en avons reçu celle que voici. De même qu’elle accommode et range à la destinée, pour en faire une partie d’elle-même, tout ce qu’elle trouve sur sa route et tout ce qui lui résiste[2], de même l’être raisonnable peut faire de tout obstacle une matière à sa propre action[3] et s’en servir[4], quel qu’ait été son premier dessein.

36

Ne te trouble pas en te représentant l’ensemble de ta vie. Ne considère pas combien de peines et combien lourdes te surviendront[5] probablement ; mais, à propos de chacun des événements présents, demande-toi : Qu’y a-t-il d’insupportable, [d’intolérable] dans ce que je fais ? Tu rougiras de le confesser.

  1. ὤσπερ τὰς ἅλλας… φύσις. Cette première phrase est tout à fait incorrecte et sûrement altérée. Un des manuscrits donne ἑκάστῳ au lieu de ἕκαστος. Il semble, en effet, qu’il convienne de lire ἑκάστῳ et d’ajouter ou de substituer à un autre mot le verbe dont φύσις est le sujet. Les mots σχεδὸν ὄδον ne sont pas ici à leur place ; on ne s’explique pas cette restriction. C’est bien à tous les êtres que la nature a donné leurs facultés. Il faut donc substituer à ces deux mots le verbe, quel qu’il soit, signifiant donner, distribuer, qui a pour sujet φύσις.

    Les mots ἡ τῶν λογικῶν φύσις doivent aussi être changés en ἡ τῶν ὄλων φύσις, expression familière à Marc-Aurèle ; τῶν λογικῶν, qui se trouve à la ligne précédente, est répété ici par erreur.

    [Le verbe que réclame M. Couat et qui doit, autant que possible, ressembler graphiquement à ΣΧΕΔΟΝΟΣΟΝ, n’est malheureusement pas aisé à trouver. Casaubon avait voulu lire ΕΣΚΕΔΑΣΕΝ ; mais ce mot, dont le sens est si net (cf. supra p. 60, note 6), n’indiquerait-il pas une répartition arbitraire des dons de la nature, faite par le hasard et non par la Providence ? J’aimerais mieux lire ΕΧΟΡΗΓΗΣΕΝ, qui compte autant de lettres que ΣΧΕΔΟΝΟΣΟΝ, et nous présente les mêmes aux mêmes places (Χ, Σ, Ν, sans compter l’initiale : entre un Σ et un Ε lunaires la différence est, en effet, imperceptible). Ma conjecture ne suppose guère, en somme, qu’une seule grosse tache ou un gros trou dans l’archétype, à la place des cinq lettres médianes du mot.]

  2. [Couat : « tout accident et toute contrariété. » — Cf. supra VI, 42.]
  3. [Cf. IV, 1, et VIII, 32. Ainsi, pour les Stoïciens, non seulement la souffrance n’est pas un mal, mais c’est pour le sage une chance heureuse, une occasion d’éprouver et d’exercer sa vertu et d’acquérir ainsi le bien véritable, en suivant les voies mêmes de Dieu.]
  4. [Couat : « et l’utiliser pour le but, quel qu’il soit, qu’il poursuit. » — Ce présent peut-il traduire l’aoriste ἂν ὤρμησε ? En changeant d’action, n’avons-nous pas changé de but ? ou bien si notre but a toujours été et est encore d’agir bien, sans nous préoccuper de la matière de notre action (VI, 50), que signifieraient ici ces mots : « quel qu’il soit, » appliqués au but ? — Je ne vois pas d’autre interprétation possible de ce passage que celle de M. Michaut.]
  5. ἐπιγεγενῆσθαι. Bien que ce parfait puisse, à la rigueur, s’expliquer comme un futur antérieur, le futur serait plus correct et plus clair ; j’ai traduit comme s’il y avait ἐπιγενήσεσθαι, adopté par Gataker.