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Apollonius m’a enseigné à avoir des opinions libres, nettes et réfléchies ; à ne regarder jamais, si peu que ce soit, autre chose que la raison ; à demeurer toujours le même au milieu des douleurs les plus vives, devant la perte d’un enfant, dans les grandes maladies ; j’ai vu en lui l’exemple vivant d’un homme à la fois très ferme et très doux, ne s’impatientant jamais lorsqu’il enseignait, et considérant à coup sûr comme le moindre de ses avantages son expérience professionnelle et l’habileté avec laquelle il savait transmettre sa science ; il m’a appris qu’il fallait accueillir les bienfaits que croient nous faire nos amis, sans engager notre liberté et sans nous montrer insensibles par nos refus.

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De Sextus j’ai appris la bienveillance ; il m’a donné l’exemple d’une maison administrée paternellement et la notion d’une vie conforme à la nature ; il m’a montré la gravité sans fard, l’attention vigilante aux intérêts de ses amis, la patience à supporter les ignorants et ceux qui opinent sans examen[1]. Son humeur était égale avec tous, au point qu’aucune flatterie n’avait la douceur de sa conversation, et que ceux qui en jouissaient n’avaient jamais plus de respect pour lui qu’à ce moment-là. Avec une intelligence compréhensive et méthodique, il découvrait et classait les principes nécessaires à la conduite de la vie ; il ne laissait jamais paraître ni colère ni aucune autre passion, étant à la fois très impassible et très tendre ; il aimait qu’on parlât bien de lui, mais sans faire de bruit[2] ; il avait de l’érudition sans en faire étalage.

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Alexandre le grammairien m’a donné l’exemple de la modération dans la correction des fautes ; il s’abstenait de reprendre

  1. [M. Couat traduit ici la conjecture de Gataker.]
  2. [Var. : « il aimait à donner la louange, mais discrète. » — J’aurais admis cette traduction si la phrase s’était trouvée dans la première partie de la pensée. Ici, il ne s’agit plus de l’affabilité de Sextus, mais de son intelligence, de sa modération et de sa discrétion. Sans doute, les dictionnaires n’attribuent à εὔφημον qu’un sens actif. Mais cet adjectif, au neutre, est assez rare : et il peut avoir eu aussi, comme beaucoup d’adjectifs composés, un sens passif.]