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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

leur origine[1] et dans leur accord[2] au sein de l’unité de la matière[3].

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Accommode-toi des choses qui te sont échues ; aime les hommes avec lesquels le sort te fait vivre, aime-les sincèrement.

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Un instrument, un outil, un ustensile quelconque est en bon état s’il fait ce pour quoi il a été constitué[4], bien que le fabricant soit loin. Mais pour les œuvres de la nature[5], la force qui les a constituées[6] est en elles et y demeure. Il faut

  1. La leçon de la vulgate, διὰ τὴν τοπικὴν κίνησις, n’a aucun sens ici, non plus que celle du Vaticanus, τονικὴν κίνησις. [Ce sont là, d’ailleurs, deux expressions familières aux Stoïciens (cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 119, n. 2 ; 131, n. 3 ; 180, n. 1 ; 205, n. 4). La première distingue de toute autre κίνησις le mouvement proprement dit : κίνησις désigne, en effet, d’après Chrysippe (dans Stobée, Ecl., I, 404), « tout changement de lieu ou de forme » (cf. supra VI, 17, et la note). La seconde (littéralement : « le mouvement de la tension » ) est un peu plus longue à définir. — Les Stoïciens rapportaient, comme on sait, toute création, tout acte, toute vie à une force, ou flamme active : la tension (τόνος) est expliquée par eux comme un « à-coup dans la flamme », πληγὴ πυρός (Plutarque, Stoïc. repugn., 7), et l’être doit, disent-ils, aux mouvements qui en résultent son unité, quand ils se produisent de dehors en dedans, sa dimension et ses qualités, quand ils vont du centre à la périphérie, etc. Or il est de toute évidence que] le mouvement seul ou même la tension et le mouvement n’expliquent pas la parenté. Gataker a proposé σύννησιν, et Coraï κοίνωσιν. Mais ces deux mots donneraient à tout le raisonnement le caractère d’une pétition de principe. Marc-Aurèle dirait, en effet, que l’amitié qui unit toutes les parties de l’univers a pour cause leur enchaînement et leur accord. Je proposerais plutôt : διὰ τὴν κοινὴν γένεσις. Cette idée de la commune origine des choses est exprimée quelques lignes plus haut dans l’article 36 : πάντα ἐκεῖθεν ἔρχεται, et ce qui suit.

    [On remarquera que les expressions τονικὴ κίνησις et τοπικὴ κίνησις ne se rencontrent nulle part ailleurs dans les Pensées.]

  2. [« Tout est conspirant, » dit Leibniz, quand il traduit les mots : σύμπνοα πάντα.]
  3. [Couat : « de la substance. »]
  4. [Couat : « fabriqué. » — J’ai dû laisser une ligne plus bas le mot « fabricant ». J’ai voulu conserver au moins une fois sur deux dans la traduction le terme philosophique que Marc-Aurèle n’a pas employé sans raison. On a déjà vu, et surtout on retrouvera un peu plus loin (VI, 44, note finale) la définition de la « constitution » dans l’homme. Dans un outil, ce sera : le principe efficient et formel (αἰτία) de cet objet dans ses rapports avec sa matière, et aussi, et surtout, et d’autant plus peut-être que ces rapports ne varient guère, la cause finale de cet objet.]
  5. [On trouvera à la fin de la seconde note à la pensée VI, 14, l’analyse de l’expression τὰ ὑπὸ φύσεως συνεχόμενα, que M. Couat traduit ici très simplement et avec une approximation suffisante par : « les œuvres de la nature. » Le mot φύσις n’a d’ailleurs plus en ce passage — qu’il s’agisse de la « nature » universelle dont les créations sont opposées à celles de l’homme, ou de telle nature individuelle qu’on pourra appeler tout à l’heure « la force qui demeure en nous » — la même valeur qu’à la pensée VI, 14. On ne distingue plus ici la φύσις de l’ἕξις ou de la ψυχή. Φύσις est devenu le nom d’un genre qui comprend toutes ces variétés.]
  6. [Couat : « la puissance qui les a créées. » Cf. la première note à cet article. — La phrase est ainsi faite qu’il y a égalité entre les termes φύσις et κατασκευάσασα δύναμις, ou du moins (si φύσις signifie vraiment ici la nature universelle), que la « force » ou