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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

tation en rien ; il repoussait la calomnie ; il étudiait avec attention les caractères et les actes ; il n’employait jamais l’injure ; il n’était ni timoré, ni soupçonneux, ni sophiste. Il se contentait de peu pour l’habitation, le coucher, le vêtement, la nourriture, le service ; il aimait le travail et il était magnanime. Il pouvait, grâce à sa sobriété, attendre jusqu’au soir sans avoir besoin de se soulager en dehors de son heure accoutumée. Imite sa fidélité et sa constance dans ses amitiés, sa facilité à supporter la contradiction, son empressement à approuver ceux qui lui montraient une meilleure solution. Il était pieux sans superstition. Ressemble-lui, afin que ta dernière heure te trouve, comme lui, la conscience tranquille[1].

31

Reprends tes sens et reviens à toi. Quand tu te seras réveillé, quand tu auras reconnu que tu étais troublé par des rêves, alors, les yeux bien ouverts, regarde les choses comme tu les regardais autrefois[2].

32

Je suis composé d’un corps et d’une âme. Au corps, tout est indifférent[3], car il ne peut [même pas] s’intéresser à rien.

  1. [Nous avons déjà rencontré (I, 16) un portrait d’Antonin le Pieux, dans ce singulier et admirable livre de comptes qui est le premier livre des Pensées, et où, sous forme de reconnaissances (« De mon aïeul tant…, de mon père tant…, tant de ma mère…, de Diognète…, de Rusticus… »), Marc-Aurèle nous a retracé la physionomie morale de tous ceux qui l’avaient formé par leurs exemples ou leurs leçons. Dans cette galerie de portraits, celui d’Antonin est le plus grand de tous ; il est en place d’honneur, à côté des dieux. Et voici que pour la seconde fois Marc-Aurèle esquisse les traits de cette figure vénérée. On peut comparer les deux images : celle-ci est la fidèle réduction de l’autre. Ici, pourtant, Marc-Aurèle, vraiment dédaigneux « de la vaine gloire et des vains honneurs », de cette toute-puissance dangereuse qui a fait les Césars, a pieusement omis tout ce qui dans la vie de son père adoptif pouvait déceler un maître du monde, même les vertus impériales. C’est avant tout l’homme, simple et bon, le sage, le juste qui l’attire et qu’il évoque.]
  2. [Couat : « regarde ces mêmes objets que tu regardais tout à l’heure. » — Il y a dans le texte grec (πάλιν… βλέπε ταῦτα, ὡς ἐκεῖνα ἔϐλεπες) une opposition que cette traduction dissimule, celle des pronoms ταῦτα et ἐκεῖνα. Il est évident, cependant, qu’ils ne désignent pas « les mêmes objets ». L’un représente les perceptions du présent — ou de l’avenir qui commence — (ταῦτα), l’autre, celles du passé (ἐκεῖνα) : et non pas, comme l’a cru M. Couat, du passé qui vient de finir, pendant lequel « nous dormions », mais du lointain passé où nous étions éveillés et voyions clair. Les choses doivent changer ; ce qui ne saurait varier, c’est la façon de les regarder (ὡς ἔϐλεπες) lorsqu’on les regarde bien. Cf. infra VII, 2, et les notes.]
  3. [Cette affirmation ne contredit point cette autre : « au corps les sensations » (supra III, 16). Car les sensations (cf. V, 26, avant-dernière note) ne sont rien de plus