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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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Il est honteux que, dans cette vie où mon corps ne se refuse pas à son office, mon âme renonce la première au sien[1].

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Prends garde de faire le César, de déteindre[2], car cela arrive. Conserve-toi simple, bon, intègre[3], grave, naturel, ami de la justice, pieux, bienveillant, tendre, plein de fermeté dans l’accomplissement du devoir. Lutte pour rester tel que la philosophie a voulu te faire. Vénère les Dieux, viens en aide aux hommes. La vie est courte ; le seul fruit de notre existence sur la terre, c’est de maintenir notre âme dans une disposition sainte, de faire des actions utiles à la société[4]. Sois en tout un élève d’Antonin. Imite son énergie à agir conformément à la raison, sa constante égalité de caractère, sa pureté, la sérénité de son visage, sa douceur, son dédain de la vaine gloire, son ardeur à se rendre compte des choses. Il n’abandonnait pas une question avant de l’avoir pénétrée et nettement comprise. Il supportait les reproches injustes sans répondre par d’autres reproches ; il n’avait de précipi-

    ici déprécier hors de propos des fonctions dont Marc-Aurèle avait parlé sans dédain. La cause initiale de ce double faux-sens est dans une troisième erreur, qui porte sur le mot ἀνάπαυλα.

    Nous l’avons traduit par « repos » ; Pierron et M. Michaut par « fin ». Sans doute, ἀνάπαυλα a les deux sens : mais le nôtre est le sens premier. Sans doute encore, le mot « repos » implique une idée douce que celle de la mort n’éveille pas ordinairement dans l’esprit de Marc-Aurèle ; il nous la présente presque toujours comme un événement si indifférent qu’il cherche à peine à en prévoir les suites (IV, 21, dernières lignes de la note finale ; VI, 24 ; VII, 32, etc.), et elle est pour lui non un bienfait, mais une œuvre quelconque de la nature (IX, 3) ; mais ce contraste ou cette nuance n’est pas une contradiction, et ne mérite pas que pour l’éviter on interprète fort librement toute la suite de la pensée.

    Il est difficile, en effet, d’écrire cette tautologie ou cette platitude : La mort est la fin des sensations, des désirs, des pensées ; la mort est la fin de la vie de l’âme unie au corps. — Mais il n’est pas malaisé de découvrir une idée et un sentiment sous une phrase comme celle-ci : La mort est le repos, après les fatigues de la vie même la plus normale.]

  1. [La pensée XI, 20, est le développement de celle-ci.]
  2. [Var : « Fais attention ; ne prends pas un bain de césarisme. » — « L’aversion de Marc-Aurèle pour les Césars, qu’il envisage comme des espèces de Sardanapales, magnifiques, débauchés et cruels, éclate à chaque instant. » (Renan, Marc-Aurèle6, p. 6.) « À chaque instant » est peut-être beaucoup dire. Cf. III, 16, le nom de Néron rapproché de celui des monstres ; I, 11, les fortes expressions qui réprouvent la tyrannie.]
  3. [Var : « pur. » Le mot « pureté » traduit plus bas le grec ὄσιον.]
  4. [Couat : « la pureté de l’âme et le dévouement. » — J’ai préféré la traduction de Renan (l. l., p. 13), où n’est pas effacé le mot διάθεσις.]