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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

d’une âme vivante, comme les troupeaux, le gros bétail ; les hommes encore plus entendus[1] préfèrent les êtres pourvus d’une âme raisonnable, mais dont la raison indifférente à ce qui est universel se distingue par l’habileté technique[2] ou [par toute autre adresse], ou simplement par le fait de posséder beaucoup d’esclaves. Mais celui qui estime l’âme raisonnable, celle qui embrasse l’univers et la société universelle, ne se tourne vers aucun autre objet ; il s’applique à conserver son âme en état de se mouvoir et de se retenir[3] suivant la raison et les lois de la solidarité ; il agit d’accord avec tout ce qui est né comme lui pour cette fin.

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Les choses se hâtent, les unes d’être, les autres de n’être plus ; à mesure qu’une chose devient, une partie d’elle-même a déjà disparu ; le monde se renouvelle par un écoulement

    Mais je crois plutôt la négligence imputable à Marc-Aurèle lui-même qui, arrivé au début de la seconde phrase, se serait imaginé avoir commencé la pensée par les mots : τὰ… ὑπὸ τῶν πολλῶν θαυμαζόμενα, exactement synonymes de : ὧν ἡ πληθὺς θαυμάζει. Dans ces conditions, il aura cru pouvoir sous-entendre ici θαυμαζόμενα aussi bien qu’ἀναγεται un peu plus bas. Les inadvertances de cet ordre, qui proviennent d’une rédaction hâtive et attestent que l’auteur ne s’est pas relu, sont d’ailleurs assez rares dans les Pensées. Cf., au milieu de l’article III, 16, dans la même phrase, à la même ligne, la rencontre des mots τὰ λοιπὰ et λοιπόν.]

  1. [Couat : « encore plus raffinés. » — Avec M. Couat et les autres traducteurs français de Marc-Aurèle, j’ai considéré ici le mot χαριεστέρων, et dans la phrase précédente le mot μετριωτέρων comme des masculins. M. Stich, qui cite ce passage aux mots χαρίεν et μέτριον de son Index, en a fait des neutres ; je ne crois pas qu’il puisse arriver par cette voie à un sens bien satisfaisant. Il me paraît presque évident qu’il y a dans cet article deux gradations parallèles, celle des variétés de l’ἔξις, et celle des intelligences qu’intéresse chacune de ces variétés : ἡ πληθύς, οί μετριώτεροι, οί χαριέστεροι. J’ai essayé de marquer cette seconde gradation dans la traduction. Depuis Platon et Aristote, les mots μέτριοι et χαρίεντες désignent les hommes qui se distinguent du vulgaire par une certaine sagesse : les premiers, plus précisément, par la modération de leur langage ou de leur conduite ; les seconds, par leur habileté dans les arts ou les sciences, surtout dans la philosophie. Μέτριος ne reparaît pas dans les Pensées, mais χαρίεις y est employé encore deux fois (V, 10 ; IX, 2) ; au moins la dernière, le sens n’est pas douteux, — et c’est celui que nous avons dû adopter ici.]
  2. J’ai suivi le texte donné par les manuscrits, bien que la phrase n’offre pas une construction grammaticale satisfaisante. Le passage, ajoute M. Couat, est probablement altéré. — [Je n’en suis, pour ma part, rien moins que sûr. Il suffit de sous-entendre avant le point final le mot ἐντρεχής exprimé une ligne plus haut, pour que la dernière proposition, qui seule peut surprendre le lecteur, paraisse claire et correcte ; et nous avons vu (deux notes plus haut) que les ellipses ne manquent pas dans cette pensée. Je prends τὸ… κεκτῆσθαι pour un accusatif de relation, ou, comme disent les grammairiens, un accusatif grec.]
  3. Je lis ἴσχουσαν καὶ κινουμένην. Cf. IX, 12 : ἀλλὰ μόνον ἕν θέλε… κινεῖσθαι καί ἴσχεσθαι, ὡς ὁ πολιτικὸς λόγος ἀξιοῖ. [Mêmes mots, VI, 16.]