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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Tu peux toujours couler une vie heureuse puisque tu peux suivre le droit chemin en le faisant suivre à tes pensées et à tes actions. L’âme de Dieu et celle de l’homme ou de tout être raisonnable ont deux points communs : n’être entravée par rien d’étranger, faire consister le bien dans la disposition à la justice et la pratique de cette vertu[1] et borner là ses désirs.

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Pourquoi me préoccuper de ce qui n’est ni un vice de ma nature ni un acte de ma nature vicieuse[2], et ne fait aucun tort à la cité universelle ? Mais qu’est-ce qui fait du tort à la cité universelle ?

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Ne nous laissons pas entraîner témérairement par notre imagination, mais venons en aide à nous-mêmes, comme nous le pouvons, et suivant la valeur des choses. Si l’on échoue dans des affaires indifférentes, il ne faut pas s’ima-

    Marc-Aurèle de ne pas remarquer une différence de température entre l’atmosphère et le souffle que nous rejetons ou que rejettent les animaux, et de n’en pas déduire le mélange et, pour une partie, l’échange nécessaire de l’air aspiré qui, disent d’ailleurs les Stoïciens, doit rafraîchir et « tremper » l’âme (Plutarque, de Stoïc. repugn., 1052, fin), et de quelque chose de chaud qui n’est pas la raison. Aussi comprenons-nous qu’en d’autres pensées Marc-Aurèle soit plus explicite, et qu’au lieu du seul mot πνευμάτιον il juge à propos d’écrire, entre les noms du corps et de la raison (ou de l’âme) les expressions τὸ ἀερῶδες ἢ πυρῶδες (IV, 21) ou bien (IV, 4) τὸ πνευματικὸν… καὶ τὸ θερμὸν καὶ πυρῶδες, et même une fois d’affirmer (au début de l’article XI, 20) le mélange « du souffle et de tout ce qu’il y a d’igné en nous »… qui n’est pas la raison. Le sens de πνευμάτιον étant ainsi étendu et limité, nous n’avons nulle peine à entendre par ce mot l’âme animale : c’est vraisemblablement la signification qu’il a ici.

    Quel peut donc être dans les Pensées le rapport de ces deux énumérations qui nous définissent : corps, âme ; corps, âme animale, raison ? Il semble évident qu’ici l’âme a été dédoublée en âme animale et en raison : mais pourquoi ce dédoublement, sinon pour opposer dans l’âme seule comme en l’homme tout entier, comme en toute chose (supra IV, 21, note finale), un principe efficient et une matière ? De ce point de vue l’âme animale se rapproche du corps d’autant qu’elle s’éloigne de la raison ; insensiblement, toute distance s’annule entre σωμάτιον et πνευμάτιον au regard de celle qui sépare l’un et l’autre du νοῦς. Marc-Aurèle a tant qu’il a pu creusé cette trouée dans l’âme humaine : il en a fait un abîme. Il y a telle de ses Pensées où le corps et le souffle non seulement vont de pair, comme ici, mais ne font qu’un (IV, 3, 5e note), tandis qu’en face d’eux la raison, formée d’un cinquième élément, semble même cesser d’être matière (IV, 4, note finale). Jusqu’à quel point ceci reste-t-il d’accord avec les données fondamentales du système ?]

  1. [Couat : « dans le sentiment et la pratique de la justice. » Cf. supra V, 20, 2e note, et V, 25, ibid., la définition stoïcienne de la « disposition ».]
  2. [Couat : « de ce dont ma méchanceté n’a été ni l’auteur ni la cause, et qui… »]