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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

teur y ajoute de lui-même ce jugement qu’elle est un mal ou un bien[1].

27

Vivre avec les Dieux. Celui-là vit avec les Dieux qui leur montre constamment son âme satisfaite de ce qui lui a été attribué, faisant ce que veut le génie que Zeus a détaché de lui-même et donné à chacun pour chef et pour guide. Ce génie, c’est l’intelligence et la raison de chacun de nous[2].

28

Te fâches-tu contre celui qui sent le bouc ? Te fâches-tu contre celui qui a une haleine fétide ? Qu’y peut-il faire ? Sa bouche, ses aisselles sont ainsi et telles qu’il faut bien qu’il en sorte de telles émanations. Mais la nature a donné[3] à l’homme une raison ; en s’examinant, il peut comprendre ses défauts. Tant mieux ! toi aussi tu as une raison ; par ta disposition[4] raisonnable, mets en mouvement sa disposition raisonnable ; montre-lui, rappelle-lui sa faute[5]. S’il te comprend, tu le guériras ; la colère est inutile.

28 bis

Ni tragédien ni courtisane[6].

  1. [Couat : « mais il ne faut pas que le principe directeur y ajoute de lui-même un jugement, comme si cette sensation pouvait être un mal ou un bien. »]
  2. [Définition du « dieu intérieur » (θεὸς ἐν ἡμῖν, III, 5). Comparer une phrase de la 26e pensée du livre XII : « la raison de chacun de nous est Dieu. » La présente définition est plus complète, puisque, selon elle, le « génie » ou « démon » n’est pas seulement raison, mais volonté (ὅσα βούλεται ὁ δαίμων). Il y a ainsi identité entre ce que les Stoïciens nomment « génie » et ce qu’ils nomment « principe directeur ». (Cf. infra VI, 8, et en note, la définition de τὸ ἡγεμονικόν). Dans la présente pensée le mot que M. Couat a traduit par « guide » — ἡγεμόνα — atteste cette identité.

    On sait que pour les Stoïciens l’obéissance à Dieu (cf. supra III, 9 ; infra VII, 67), ou, comme il est dit ici, la « vie avec les Dieux », c’est la liberté.]

  3. Dans le texte, φησί entre parenthèses donne à croire que la phrase où il se trouve est une citation d’un écrivain quelconque, ce qui est au moins douteux. Les manuscrits A et D donnent φύσει que je crois être la vraie leçon.
  4. [Couat : « force-le à raisonner en raisonnant toi-même. » Sur la « disposition », cf. supra V, 20, seconde note, et V, 25, ibid.]
  5. [Var. : « fais-lui des remontrances, rappelle-le à lui-même. »]
  6. « Οὔτε τραγῳδός, οὔτε πόρνη. » On a fait des efforts ingénieux pour rattacher ces quelques mots soit à l’article précédent, soit au suivant. Pour ma part, je ne crois pas qu’ils aient fait partie de l’un ou de l’autre. Je crois plutôt qu’ils formaient un article isolé, une note jetée rapidement, analogue à l’article VII, 12. La conjonction οὔτε ne permet pas de sous-entendre l’impératif, mais on peut supposer une proposition à l’indicatif telle que : « Le sage n’est ni tragédien ni courtisane. »