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LIVRE IX, § XL.

XL

Ou les Dieux sont impuissants, ou ils peuvent quelque chose. S’ils sont sans puissance, pourquoi leur adresser tes prières ? S’ils peuvent quelque chose pour toi, pourquoi ne les pries-tu pas de te donner la force de ne plus craindre rien de tout ce que tu crains, de ne désirer rien de ce que tu désires, de ne t’affliger[1] de rien de ce qui t’afflige, plutôt que de leur demander qu’ils t’accordent cette chose que tu souhaites[2], ou qu’ils éloignent telle ou telle autre chose de toi ? Car si les Dieux peuvent aider les hommes en agissant avec eux[3], c’est en cela certainement qu’ils le peu-

  1. De ne plus craindre… de ne désirer rien… de ne t’affliger. Cette manière de prier Dieu est la vraie, parce qu’elle est la seule digne de lui. Lui demander la force de supporter les maux de la vie et de pouvoir toujours accomplir les devoirs d’un être raisonnable, c’est là tout ce que l’homme doit faire ; c’est là ce qui élève et ce qui fortifie son âme ; le reste ne dépend plus que de lui. Mais demander à Dieu d’accomplir nos désirs, autre que celui-là, c’est méconnaître le vrai rapport de l’homme à la Divinité ; c’est trop souvent ne servir que nos passions et ravaler notre libre arbitre.
  2. Cette chose que tu souhaites. Dans le genre des vœux exprimés un peu plus loin.
  3. En agissant avec eux. C’est l’expression même du texte. Marc-Aurèle touche ici un des problèmes dont la doctrine chrétienne s’est très-particulièrement occupée. C’est la théorie de la Grâce, et de l’intervention divine dans les actes libres de l’homme. On voit que le Stoïcisme avait été amené de son côté à l’examen de ces questions si délicates et si profondes. Mais