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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

XXXIX

Ou bien en ce monde tout vient d’une source unique, qui est intelligente[1], comme en un vaste et unique corps[2] ; et dans ce cas, une partie n’a pas le droit de se plaindre[3] de ce qui se fait en vue du tout ; ou bien, il n’est au monde que des atomes[4], et il n’y a jamais que leur concours fortuit, ou leur dispersion. Dès lors, pourquoi t’émouvoir et te troubler ? Tu n’as qu’à dire à l’âme qui te gouverne[5] : « Tu es morte ; tu es perdue et détruite ; tu n’es que déception[6] ; tu es à l’état des brutes[7] ; comme elles, tu te réunis en troupes, et tu te repais comme elles. »

  1. D’une source unique qui est intelligente. C’est Dieu, avec toute sa puissance et toute sa bonté.
  2. Un vaste et unique corps. C’est l’univers, qui ne peut qu’être unique, ainsi que le mot le dit, et comme Dieu lui-même.
  3. Une partie n’a pas le droit de se plaindre. Maxime magnanime, qui est une des principales de la doctrine stoïcienne. Dans cet ensemble infini des choses, l’homme n’a jamais qu’à remercier Dieu, soit par courage, soit par résignation.
  4. Il n’est au monde que des atomes. Voir plus haut, liv. IV, § 3, et liv. VIII, § 17.
  5. À l’âme qui te gouverne. C’est-à-dire la raison, qui a la faculté de se parler à elle-même et de réfléchir.
  6. Tu n’es que déception. Ce serait bien le cas, en effet, si l’homme devait mourir tout entier, et que son âme dût subir aussi le destin de son corps. À quoi dès lors l’intelligence nous serait-elle bonne, et d’où viendrait-elle ?
  7. Tu es à l’état des brutes. Doctrine absurde, contre laquelle Marc-Aurèle n’a cessé de protester ; mais elle est bien vieille, et il n’y a pas à s’étonner de la voir renaître de nos jours.