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LIVRE VIII, § XL.

XL

Si tu supprimes ton opinion[1] sur l’objet qui semble te causer tant de douleur, te voilà, toi, dans la plus immuable sécurité. — Mais qui, Toi ? — Toi, c’est la raison. — Mais je ne suis pas raison. — Deviens-le. Que la raison ne s’inflige donc pas à elle-même une douleur inutile ; et si, par hasard, il y a encore en toi quelque chose qui ne va pas bien, que ce quelque chose se fasse à soi-même une opinion[2] sur ce qu’il souffre.

  1. Si tu supprimes ton opinion. C’est une des théories les plus importantes du Stoïcisme, quoiqu’elle puisse à première vue sembler paradoxale. Ce serait aller trop loin de prétendre que nos maux n’ont que la réalité que notre jugement leur donne. Notre sensibilité, dont nous ne pouvons nous séparer, est là pour réclamer si haut qu’il nous faut bien l’entendre. Mais ce qui est vrai, c’est que la raison peut dominer la sensibilité, et parvenir, par un exercice persévérant, à lui imposer silence. L’imagination joue également un rôle dans presque tous les instants de notre vie ; elle simplifie ou diminue singulièrement nos biens et nos maux. C’est à la raison de restreindre l’imagination, et même de la supprimer tout à fait. Rien de toute cette lutte intérieure n’est impossible ; mais la nature a bien de la peine à se soumettre au joug de la raison. Voir plus haut, dans ce livre, § 28.
  2. Que ce quelque chose se fasse à soi-même une opinion. Chose impossible, puisque le corps ne pense pas. Voir plus haut, liv. VII, § 14, et livre VI, § 32.