Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
LIVRE VIII, § XXVI.

d’autres qui les valaient ? Tout cela a vécu un jour[1] ; et, depuis longtemps, tout cela est mort. Il en est qui n’ont pas même laissé le moindre souvenir après eux ; on a parlé quelque temps de ceux-ci ; déjà on ne dit même plus un mot de ceux-là. Pense donc à eux en te disant aussi qu’il faudra, pour toi comme pour eux, que le composé chétif que tu formes se désagrège un jour, que le souffle qui t’anime s’éteigne[2], ou se déplace[3], et qu’il aille recevoir ailleurs une autre vie[4].

XXVI

La vraie joie de l’homme, c’est de faire ce qui est propre à l’homme. Or le privilége de l’homme[5], c’est d’être bienveillant à l’égard de ses sem-

    connus.

  1. Tout cela a vécu un jour. Cette tournure un peu dédaigneuse est dans le texte ; elle ne s’adresse pas aux personnes, mais à la fragilité des choses de ce monde.
  2. S’éteigne. Ce serait le néant.
  3. Ou se déplace. Ce serait l’immortalité.
  4. Et qu’il aille recevoir ailleurs une autre vie. Nulle part plus nettement qu’ici, Marc-Aurèle n’a pressenti une autre vie et n’a paru accepter cette doctrine. En se rappelant quelle distance il met toujours entre l’âme et le corps, et quelle supériorité il donne à notre âme, on doit croire qu’il attribue aussi des destinées fort différentes aux deux éléments dont notre être est composé.
  5. Le privilége de l’homme. Il est impossible de se faire de la nature humaine une idée plus vraie, plus haute, ni plus pra-