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M. PASCAL.

ne ſervent pas à monſtrer la verité de la redemption par la ſainteté de leurs mœurs, ils ſervent au moins admirablement à monſtrer la corruption de la nature par des ſentiments ſi dénaturez.

Rien n’eſt ſi important à l’homme que ſon eſtat ; rien ne luy eſt ſi redoutable que l’eternité. Et ainſi qu’il ſe trouve des hommes indifferens à la perte de leur eſtre, & au peril d’une eternité de miſere, cela n’eſt point naturel. Ils ſont tous autres à l’égard de toutes les autres choſes : ils craignent juſqu’aux plus petites, ils les prévoyent, ils les ſentent ; & ce meſme homme qui paſſe les jours & les nuits dans la rage & dans le deſeſpoir pour la perte d’une charge, ou pour quelqu’offenſe imaginaire à ſon honneur, eſt celuy là-meſme qui ſçait qu’il va tout perdre par la mort, & qui demeure neanmoins ſans inquietude, ſans trouble, & ſans émotion. Cette étrange inſenſibilité pour les choſes les plus terribles dans un cœur ſi ſenſibles au plus legeres, eſt une choſe monſtrueuſe ; c’eſt un enchan-