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M. PASCAL.

duë, ſans ſçavoir pourquoy je ſuis plûtoſt placé en ce lieu qu’en un autre, ny pourquoy ce peu de temps qui m’eſt donné à vivre m’eſt aſſigné à ce point plûtoſt qu’à un autre de toute l’eternité qui m’a precedé, & de toute celle qui me ſuit. Je ne voy que des infinitez de toutes parts qui m’engloutiſſent comme un atome, & comme une ombre qui ne dure qu’un inſtant ſans retour. Tout ce que je connois c’eſt ce que je dois bientoſt mourir ; mais ce que j’ignore le plus c’eſt cette mort meſme que je ne ſçaurois éviter.

Comme je ne ſçay d’où je viens, auſſi je ne ſçay où je vais ; & je ſçay ſeulement qu’en ſortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le neant, ou dans les mains d’un Dieu irrité, ſans ſçavoir à laquelle de ces deux conditions je dois eſtre eternellement en partage.

Voila mon eſtat plein de miſere, de foibleſſe, d’obſcurité. Et de tout cela je conclus que je dois donc paſſer tous les jours de ma vie ſans ſonger à